L’histoire oubliée des Indochinois

L’histoire oubliée des Indochinois

Article site de Sud-Ouest ssur les Indochinois recrutés de force pendant la seconde guerre mondiale pour suppléer le manque de main d’oeuvre. Histoire à retrouver dans l’exposition en place au Pôle international de la préhistoire (PIP) aux Eyzies-de-Tayac-Sireuil :

L’histoire oubliée des Indochinois recrutés de force pour assainir une vallée de Dordogne

L’histoire oubliée des Indochinois recrutés de force pour assainir une vallée de Dordogne
Le bruit du claquement des sandales de bois, sur les chemins, des Indochinois se rendant sur les chantiers est resté dans la mémoire des habitants. © Crédit photo : Getty images

Entre 1941 et 1943, un millier d’Indochinois sont enrôlés pour curer la vallée des Beunes, près des Eyzies. Une exposition au pôle d’interprétation de la Préhistoire retrace cet épisode sombre et méconnu de l’histoire, du Mékong à la Vézère

C’est une exposition événement qui se tient jusqu’au 28 septembre au pôle d’interprétation de la Préhistoire des Eyzies. « Du Mékong à la Vézère, les oubliés de l’Histoire » (entrée libre) est une rétrospective itinérante sur un chapitre méconnu de l’histoire : les 4 000 Indochinois recrutés de force qui ont travaillé entre 1940 et 1948 en Dordogne. Pour ce faire, Pierre Daum, journaliste au « Monde Diplomatique », a épluché 10 000 pages aux Archives départementales, à Périgueux, aux Archives nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence et a collecté des témoignages. Un travail mené en collaboration avec Michel Lecat et l’association Patrimoine photographique en Bergeracois.

Pierre Daum est journaliste au « Monde Diplomatique ».
Pierre Daum est journaliste au « Monde Diplomatique ».
David Briand
Le canal de dérivation de la grande Beune, au pied du château de Commarque en arrière-plan, à l’automne 1941.
Le canal de dérivation de la grande Beune, au pied du château de Commarque en arrière-plan, à l’automne 1941.
Archives départementales de la Dordogne
En 1941, les travaux ne s’arrêtent que fin novembre alors que l’eau est glaciale.
En 1941, les travaux ne s’arrêtent que fin novembre alors que l’eau est glaciale.
Archives départementales de la Dordogne

Pourquoi des Indochinois ont-ils été envoyés en métropole au début du la Seconde Guerre mondiale ?

Pour participer à l’effort de guerre, car les soldats français sont mobilisés. Au départ, en septembre 1939, l’idée est de les recruter dans toutes les colonies : le gouvernement français considère comme légitime d’aller y puiser les forces humaines dont il a besoin. Mais cela ne fut pas possible pour différentes raisons : pour l’Afrique subsaharienne, des clichés ont joué, comme celui du tirailleur sénégalais censé être meilleur au combat. Concernant le Maghreb, les colons ne voulaient pas voir partir leur main-d’œuvre agricole au moment des vendanges. Le ministre des Colonies a d’abord promis d’enrôler 500 000 ouvriers, puis 300 000 car ce n’était pas si facile. Le choix s’est réduit sur la seule Indochine.

Combien d’Indochinois ont ainsi été recrutés de force ?

20 000, soit 19 800 Vietnamiens et 200 Cambodgiens (aucun Laotien). Ils sont arrivés à Marseille sur 14 bateaux jusqu’à fin mai 1940. Ils étaient gérés par le ministère du Travail qui a créé le service de la MOI (NDLR : Main-d’œuvre indigène) et les a répartis sur différents sites de production d’armes et de munitions dans l’hexagone, dont la poudrerie de Bergerac qui a vu arriver sept compagnies de 250 travailleurs soit près de 1 800 hommes Un site dont l’activité s’arrête en juillet 1940 avant de reprendre à l’automne 1942.

Que deviennent-ils ?

Ils font les vendanges, ramassent des châtaignes et des glands transformés en farine et pain, travaillent à la carbonisation du bois. Mais il y a surtout deux projets exceptionnels qui émergent : la tentative de faire pousser du riz en Camargue et celle d’assainir la vallée des Beunes. L’un des piliers de la Révolution nationale est le retour à la terre. Vichy considère que la France s’est perdue par l’industrialisation, l’abandon de la paysannerie et de la culture des terres. Une loi de février 1941 assure ainsi un soutien financier de l’État pour des projets visant à récupérer des terres abandonnées afin d’y relancer des cultures anciennes.

Pourquoi le choix s’est-il porté sur la vallée des Beunes ?

D’abord parce que les terres avaient été délaissées depuis un demi-siècle et étaient devenues marécageuses. C’est grâce ensuite à la conjonction de trois acteurs : le préfet Labarthe ; des personnalités locales à la double casquette de maires et de propriétaires terriens qui montent un syndicat de 11 communes pour gérer l’argent de l’État ; et un réfugié lillois travaillant dans le textile qui possédait une maison secondaire aux Eyzies. Ce dernier a écrit une lettre au préfet pour lui rappeler qu’il existait une vieille tradition locale de culture du chanvre, utilisé notamment pour fabriquer des toiles et cordages pour les bateaux.

Quelles sont les caractéristiques de ce projet d’assainissement ?

Il s’agit de nettoyer la grande Beune, la petite Beune et leurs affluents, soit 45 km à curer : faucardage, dessouchage, extraction de centaine de mètres cubes de terre. Un boulot monstrueux qui requiert une main-d’œuvre importante et bon marché, le quatrième acteur sans lequel ce projet n’aurait jamais pu voir le jour. Il faut aller vite, le curage doit s’effectuer l’été. 750 Indochinois sont mobilisés en mai et juin 1941. Les premiers construisent trois baraquements à partir de centaines de voliges amenées sur place

Quelles sont leurs conditions de travail ?

Ils travaillent pieds nus huit heures par jour, auxquelles il faut ajouter une heure de trajet. À partir de début septembre, les températures rafraîchissent avec des gelées en octobre, mais les autorités s’en fichent. Ils restent jusqu’au 25 novembre. Ensuite, la main-d’œuvre est moins disponible et les tarifs de mise à disposition par l’État augmentent. Si bien que 250 hommes sont de retour en 1942 et seulement une cinquantaine en 1943.

Quel est le bilan humain et pour quel résultat ?

Il est difficile à établir car les malades étaient envoyés par le train à Bergerac. Le boulot effectué a été énorme, même si dans les mémoires locales il a été vécu comme un échec. Environ un tiers des 1 500 ha inondés a été assaini. Davantage que du chanvre, ce sont des haricots verts qui ont été cultivés et qui ont bien rapporté les dix années suivantes.

Les Indochinois ne disposent que de pioches et de pelles pour accomplir leur tâche.
Les Indochinois ne disposent que de pioches et de pelles pour accomplir leur tâche.
Archives départementales de la Dordogne
La plupart des travailleurs sont pieds nus ; très peu de bottes sont fournies.
La plupart des travailleurs sont pieds nus ; très peu de bottes sont fournies.
Archives départementales de la Dordogne
L’un des trois baraquements construits avec des planches.
L’un des trois baraquements construits avec des planches.
Archives départementales de la Dordogne

 

 
 
 
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