Poèmes

Poèmes

La nuit qui précéda sa mort
Fut la plus courte de sa vie
L’idée qu’il existait encore
Lui brûlait le sang aux poignets
Le poids de son corps l’écoeurait
Sa force le faisait gémir
C’est tout au fond de cette horreur
Qu’il a commencé à sourire
Il n’avait pas UN camarade
Mais des millions et des millions
Pour le venger il le savait
Et le jour se leva pour lui.

Paul Eluard

… Et leur sang rouge ruisselle

     Même couleur même éclat

         Celui qui croyait au ciel

     Celui qui n’y croyait pas …  

Aragon

« Je trahirai demain… »

Je trahirai demain, pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles, Je ne trahirai pas.

Vous ne savez pas le bout de mon courage.

Moi je sais.

Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.

Vous avez aux pieds des chaussures avec des clous.

Je trahirai demain, pas aujourd’hui. Demain.

Il me faut la nuit pour me résoudre,

Il ne me faut pas moins d’une nuit

Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

Pour renier mes amis,

Pour abjurer le pain et le vin,

Pour trahir la vie

Pour mourir.

Je trahirai demain, pas aujourd’hui.

La lime est sous le carreau

La lime n’est pas pour le barreau,

La lime n’est pas pour le bourreau

La lime est pour mon poignet.

Aujourd’hui je n’ai rien à dire.

Je trahirai demain.

Marianne Cohn, dite Colin, Déportée- Résistante

D’UNE PETITE FILLE MASSACRÉE
Vous pourrez revenir ce sera vainement

Surenchérir l’enfer et la bête féroce
Vous pourrez enfoncer la porte avec vos crosses
Allemands
Vous n’éveillerez pas cette enfant

Elle est morte

Avant d’avoir ouvert tout à fait ses grands yeux

Rien ne la tirera du rêve merveilleux
Qui l’emporte
Dans ses cheveux défaits elle dort

On croirait Vraiment qu’elle va respirer qu’elle respire

Dans ses petites mains la nuit met son empire
En secret
Elle ne porte plus le poids de sa mémoire

La rose pour mourir a simplement pâli

Doucement doucement doucement elle oublie
Vivre et voir

Jean Chateaureynaud.

Savignac les Eglises: Valentine Bussière agent de liaison de FE.M. Départemental F.T.P.F. tuée le 12 juin au cours du combat des Piles.

LA ROSE ET LE RÉSÉDA
à Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Mocquet et Gilbert Dru

CELUI qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fût de la chapelle
Et l’autre s’ÿ dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe Qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfèrent les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule et se mêle
A la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda

Joseph Linz, fusillé par les Nazis à n Mesplier » à l’âge de 49 ans, avec 4 autres réfugiés de Strasbourg,

« MATRICULE 73973
Souvent je l’imagine sur son vélo fuyant,
à un âge indécis, l’âge des premières fois
vers un lointain maquis, planqué au fond des bois
sans mots dits à aucun de ses très chers parents.
Le fusil dans une main, ils s’en vont à plusieurs
effacer chaque nuit, un pont, ou un tunnel…
Le « Chant des Partisans » qu’ils envoient vers le ciel,
hurle comme une prière, martèle comme un cœur.
Dénoncé, arrêté, condamné aux barreaux
d’une prison de Tulle bel et bien en acier,
il tentera trois fois de s’en échapper :
un passage à tabac le laissa au carreau.
Puis il se voit jugé, condamné aux barreaux,
mais cette fois pas de la grille d’un camps français
qui serait gardée par des soldats  »amis », mais
d’une petite fenêtre d’un wagon à bestiaux.
« Les trains de la mort », départs en gares françaises !
Embarqué entassé piétiné par centaine,
après deux jours d’enfer il survivra à peine :
matricule soixante-treize mille neuf cent soixante treize.
Pas tatoué mais pourtant bien marqué à vie
les chiens et les SS lui retapent le cerveau,
la chair et les entrailles, les viscères, la peau…
Mais comment entrevoir une chance de survie ?
Regardez-le dans son pyjama bleu rayé,
pas d’étoile jaune mais des sabots de bois,
se levant d’un châlit où l’on dort par trois
de côté, tête-bêche comme pour mieux y loger.
Regardez-le debout parmi les déportés
garde-à-vous, sans chaussette dans la neige, des heures
attendant violemment qu’on retrouve un des leurs :
pour un corps évadé, dix-huit seront tombés.
Regardez bien cette ombre au petit matin, blême
de n’avoir rien mangé qu’un morceau de rassis
partir « en Kommando », au pas et en sursis,
de Dachau à Allach, jonché de chrysanthèmes.
Lui ne reverra plus, un à un ramassés
tous les corps putréfiés de ses « copains » de mort
tombés au champ d’horreur, qu’il prend à bras le corps
sans aucun Requiem, avant d’être calcinés.
Il savait chaque veille que « c’est enfin demain
qu’arriveront en masse les troupes alliées
qui seraient enfin là pour tous nous délivrer ».
Il a tenu d’espoir, de force, de coup-de-poing.
Il a tenu un an pour entendre le pas
des soldats tous choqués attirés par l’odeur.
Ne sachant plus pleurer de trouver leurs sauveurs
il a juste souri, ne pouvant faire plus qu’ça.
Il est bien revenu, pour se retrouver là
dans une prison dorée, sans barreau et sans chien
soixante-cinq ans plus tard, il le sait ô combien
qu’il finira ses jours dans cette maison-là. »
Hommage de sa petite fille Marion à son Grand-Père, Bernard RUAUD dit Popeye, membre du Groupe FTPF Lucien Sampaix, fait prisonnier en Corrèze en octobre 1943 par des gendarmes et livré en mai 1944 à l’ennemi, qui survivra à la déportation et aux camps de la mort, décédé le 27 août 2020.
Ecoute, il faut que tu comprennes
Lui et moi on n’a pas supporté les livres qu’on brûlait
Les gens qu’on humiliait
Et les bombes lancées
Sur les enfants d’Espagne
Alors on a rêvé De fraternité…
Ecoute Maman, je vais te raconter,
Ecoute, il faut que tu comprennes
Lui et moi on n’a pas supporté
Les prisons et les camps
Ces gens qu’on torturait
Et ceux qu’on fusillait
Et les petits-enfants Entassés dans les trains
Alors on a rêvé
De liberté
Ecoute Maman, je vais te raconter,
Ecoute, il faut que tu comprennes
Lui et moi on n’a pas supporté
Alors on s’est battu
Alors on a perdu
Ecoute Maman, il faut que tu comprennes
Ecoute, ne pleure pas …
Demain sans doute ils vont nous tuer
C’est dur de mourir à vingt ans
Mais sous la neige germe le blé
Et les pommiers déjà bourgeonnent
Ne pleure pas
Demain il fera si beau

A ma mère, poème de Gisèle Guillemot

AMIS, SOUVENEZ-VOUS…

Plus de trente ans déjà, souvenez-vous, amis ! Nous étions maquisards, soldats sans uniforme, Les combattants de l’ombre, à l’espérance énorme, Quand un appel vibrant d’un vol lointain jaillit …

Il nous donna l’élan que nos cœurs attendaient, L’enthousiasme sacré vint gonfler nos poitrines, Donner la liberté, ne plus courber l’échine, Reprendre aux ennemis le sol qu’ils martelaient

Ouvriers, paysans, étudiants, professeurs,

Poètes de chez nous, prirent les destinées

De leur pays trahi, leur France piétinée,

Ils mouraient sans témoin, symboles des meilleurs.

Apôtre de l’humain et de la liberté

Charles Serre, premier résistant, avec flamme, Rassembla dans les bois, des hommes et des femmes, « Venez, je vous le dis, épris de fierté … »

Plus tard, au vaillant Rac, il transmit le flambeau Avec son idéal, sa profonde espérance, Connaissant la valeur de ce Lorrain de France Car dans son propre camp, chacun fut un héros.

Ensemble on a puisé courage et réconfort,

J’ai su dès cet instant, faire don de ma vie,

Sous les coups du bourreau, par un serment qui lie, Je pensais à mon père … au-delà de la mort.

A mon père fauché dans sa belle jeunesse,

A ma vaillante mère, et qui ne recula,

A tous les maquisards, en Périgord, ceux-là Que mon silence alors sauva de la détresse …

Et vous, guerriers de l’ombre à l’ardente croyance, Derrière vos drapeaux, devant vos monuments, Je revois vos regards, ô souvenirs poignants

De la gloire immortelle et de la Résistance.

Ami, entends-tu …

Charlotte Serre

Dans quelle tombe et quelle terre

Coucher ton corps comme on découvre une fontaine

Je te porte à jamais et dans mes bras te serre

Jamais guerre ne fut humaine

Ici la terre est toute rouge

Comme le sang a coulé d’elle

Et pas une herbe au vent ne bouge

Il y eut tant de morts fidèles

Reste pour une nuit encore

Ce compagnon des bons combats

Cette lueur comme une aurore

Te suit et l’on parle tout bas

Dans toutes les maisons humaines

Où l’on respire et où l’on croit

que l’espérance n’est pas vaine

Et n’a pas l’ombre d’une croix

De cet homme à la main fidèle

Que tu fus, dont on se souvient

Car toute vie est éternelle

Quand le peuple te compte sien

Rouben Melik

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