« BELVES BRÛLE T’IL ? » 24 juin 1944
Ecrit et Narration de Guy Marty
Samedi 24 juin 1944, sept heures du matin, appel reçu par la standardiste téléphonique de la poste de Belvès.
« Bonjour pauvrette ! Tu as constaté comme moi, qu’hier il a fait particulièrement chaud dans notre Périgord Noir – eh bien ! je t’annonce qu’aujourd’hui, jour de la Saint Jean, il risque de faire encore plus chaud. Prends vite les dispositions pour que tes amis et toi se mettent à l’ombre le plus rapidement possible. Je t’embrasse. »
Ce message, est adressé à Eva Rouet, jeune postière au bureau de Belvès où elle s’occupe des communications téléphoniques et de la mise en place des tournées de facteurs.
C’est une collègue du Bugue qui l’avertit en patois, car les communications peuvent être interceptées par les allemands, qu’une impressionnante colonne de véhicules ennemie vient de passer à Campagne et prend la cote de Saint Georges pour ensuite redescendre vers le Coux et Siorac puis, très vraisemblablement continuer sur la route nationale en direction de Fongauffier et Belvès.
Eva Rouet prévient aussitôt le receveur Antoine Despont qui décide que les tournées n’auraient pas lieu car trop dangereuses pour les facteurs desservant Monplaisant, Sagelat, Carves, Saint Germain, Siorac, etc… et lui demande d’aller immédiatement prévenir Georges Marty responsable de la Résistance de Belvès.
Comme ce samedi est jour de marché, elle n’a aucun mal à le trouver dans son magasin de la rue du Fort avec son frère Jean, de même que se voisins Paul Baille, Gabriel Rispal, et dans la Grand rue, Jean Rebière, Fernand Manchotte (président du comité local de la libération) et un peu plus loin Pierre Boucherie (membre de la nouvelle municipalité), etc …
De sept heures et demie à huit heures, Belvès se transforme du tout au tout.
A l’époque il n’y a pas de smartphones, d’Iphones, ou de réseaux sociaux, mais les expressions bien françaises
« bouche à oreille », « porte à porte », fonctionnent parfaitement et tout le village est rapidement au courant de ce qui peut arriver dans les heures à venir.
La Place d’armes où, les jours de marché, de nombreuses paysannes viennent vendre, légumes, fruits, volailles, est rapidement désertée et les étalages que les commerçants belvésois ont l’habitude d’installer devant leurs magasins et boutiques sont là aussi, vite rentrés à l’intérieur.
Alors un véritable phénomène d’exode se met en place , se rappelant qu’à la fin du mois de mai, le 30 exactement, où les allemands venus à Belvès avaient arrêté plus d’une cinquantaine d’hommes, jeunes ou moins jeunes, parqués sous la halle pendant des heures, interrogés de façon parfois très brutale et ensuite pour certains, transférés en fin d’après midi à Périgueux, d’autres à Limoges qui ne revinrent que le lendemain et le jeune Robert Alcoderi (18 ans), joueur de rugby émérite qui lui, a été envoyé en Allemagne.
Les dispositions que toutes les familles belvésoises avaient prévues pour un repli dans les alentours de la localité si un tel évènement se reproduisait entrent en action.
C’est ainsi que dès huit heures, Belvès se vide de la totalité de sa population masculine. A partir de la Croix des frères, les rues Du Barry, des Ecoles et surtout, la route de Monpazier voient un important transfert se mettre en mouvement, beaucoup de jeunes en vélo, les plus agés à pied, fuyant le plus rapidement possible vers des lieux situés dans les communes de Saint Pardoux, Monplaisant, Urval, Bouillac etc …où ils pensent que les allemands ne s’aventureront pas.
A Capelou, certains habitants apercevant autant de monde passer devant l’église croient qu’un pèlerinage à lieu en cette matinée.
Quant aux responsables belvésois du maquis, ils avaient convenu à l’avance, de venir dans la propriété de Giraudet à Marcillac en passant par Jolimont, le Martoulet et Pascal afin de s’y regrouper.
Ce que la postière du Bugue avait annoncé s’avére totalement exact. La colonne allemande forte de près de 100 véhicules dévale du haut de Saint Georges vers le Coux et s’engage au carrefour de la route Saint Cyprien-Siorac à destination de ce village. Avant le pont sur la Dordogne, il y a un accrochage sérieux entre leurs éléments avancés et quelques maquisards du groupe Soleil qui tentent de les retarder un moment. Mais ces derniers commandés par Maurice Tenembaum, sont obligés de se replier vers les bois autour de Siorac et renoncent finalement à les combattre.
La route pour Belvès est, cette fois entièrement dégagée. Malgré tout, les allemands ne se précipitent pas à grande vitesse sur la nationale jusqu’à Fongauffier, car ils craignent, à juste titre, que la route soit « boum boum » comme il le pressentent, à cause des explosifs placés sur les bas cotés de la chaussée.
Espacé de 25 mètres, chaque véhicule s’avance à vitesse relativement réduite, ce qui les retarde passablement, de telle sorte que c’est seulement vers 9 heures que
la colonne monte la côte de Belvès après avoir traversé Fongauffier totalement désert, les résidents de ce hameau ayant fuit vers les bois du Bloy ou ceux de Mauvelat.
Arrivés à Belvès, l’ensemble des véhicules se positionne sur l’esplanade de la Brèche, totalement déserte. En très peu de temps, les soldats sont regroupés et selon un plan préparé à l’avance, compte tenu des renseignements qu’ils possèdent trois groupes sont formés pour venir s’installer aussitôt sur les trois places ; Croix des frères, Halle et Malbec. De là , les soldats pour chaque emplacement, ont la possibilité de surveiller toutes les rues, ruelles et autres passages du village.
En même temps, deux véhicules avec une dizaine de soldats à bord, armés jusqu’aux dents partent de la place Malbec, en longeant les remparts à destination de Peylevade vers le garage Amouroux où le groupe Soleil avait installé son quartier général depuis le 7 juin.


S’attendent t-ils à un combat possible ? il n’y en eut aucun car tous ceux qui étaient ou venaient dans ce QG avaient disparus depuis le début de la matinée.
Les allemands n’ont alors aucun mal à pénètrer dans l’ensemble des bâtiments, garages, annexes, habitations où ils s’installent aussitôt. Ils en profitent pour détruire tout le matériel logistique qui s’y trouve : machines à écrire, appareils pour tirages de tracts, stocks de papier, encres, etc …qu’ils jettent avec enthousiasme par les fenêtres des pièces où ils sont entreposés.
Cette journée était annoncée comme une des plus chaudes de l’année, 30 degrés et plus. C’est ce qui décide l’ensemble des officiers allemands à ne pas rester à l’extérieur, mais à rechercher un endroit où ils pourraient s’installer au frais.
Sous la Brèche, il y a le cinéma REX qui leur parait l’emplacement rêvé pour cela. Mais l’un des leurs repère à une dizaine de mètres plus loin l’hôtel-restaurant « Le chapon fin » de Germain Raynal, avec bien entendu, une vaste salle de repas et de jeux pourvue de tables donnant sur l’extérieur.
L’endroit fait l’unanimité et les officiers s’y engouffrent avec, en plus, la possibilité de boire et de manger car ne l’oublions pas, ce samedi était jour de marché et Germain Raynal et son cuisinier José Sanchez ont préparé, comme à chaque fois, une grosse quantité de plats de charcuterie, viandes froides, œufs à la mayonnaise, salades de tomates, pâtisseries, gâteaux aux noix, fruits d’été, cerises et fraises, etc… et lorsque Germain Reynal revient, tard dans la soirée à son hôtel, il constate avec une grande surprise qu’un nombre important de bouteilles de vin prises dans la réserve ont été ouvertes et bues, dont les appellations indiquent que ces officiers sont de bons connaisseurs : Cahors, Saint Emilion, Margaux, Pomerol etc … par contre, les canettes de bières n’ont pas été particulièrement touchées.
En ce qui concerne les soldats qui patrouillent dans Belvès, ils font, eux aussi, à de nombreuses reprises, irruption dans tous les magasins d’alimentation situés dans les rues de Foncastel, du Fort et dans la Grand rue. Les boulangeries, les pâtisseries, les épiceries, les boucheries et charcuteries ont leurs visites pendant toute la matinée et ce qu’ils en rapportent les change sûrement de leur nourriture quotidienne à la garnison de Périgueux.
Dans la boutique fruits et légumes de Cugnenc, par exemple, tous les étals de fraises et de cerises sont complètement vidés, chaque soldat prend les fruits à poignée et les avale en marchant dans les rues.
Plusieurs jours après, les employés belvésois chargés de l’entretien des rues seront abasourdis en récupérant des kilos de noyaux qui avaient été jetés par terre après dégustation des fruits.
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En début d’après midi, un évènement grave se produit – Deux maquisards du groupe Soleil venant vraisemblablement de Doissat afin de se rendre au QG de Peyrelevade et ignorant la présence des allemands, sont interceptés à la montée de la route de Landrou, plaqués contre un renfoncement et immédiatement fusillés. Il s’agit de deux jeunes réfractaires au STO de la région parisienne arrivés chez Soleil quelques jours auparavant.
Leurs noms : Paul Gillet et Roger Orhand sont inscrits sur le monument situé à l’endroit où ils ont été abattus, inauguré en 1945 par les groupes de Résistance Marsouin, Soleil, MOÏ, en présence d’une foule importante de personnes du secteur
