Les Groupements de Travailleurs Etrangers (GTE)

Publication de Bernard Reviriego dans le cadre de l’inauguration, le 27 mai 2025, de la stèle de Chancelade :
Les GTE (Groupes de Travailleurs Etrangers) en Dordogne
Si la Dordogne n’a abrité aucun des sinistres camps du Sud de la France (Gurs, Rivesaltes, Rieucros, Récébédou, Argelès, etc.), l’idéologie d’exclusion de Vichy y a pourtant laissé la marque de ses structures administratives et répressives, en particulier au travers de ce que l’on a appelé les Groupements de Travailleurs Etrangers (G.T.E.). Ces derniers sont, dans la hiérarchie des lieux d’enfermement élaborés par Vichy, une première marche, suivie par les groupements disciplinaires puis par les camps d’internement.
Ils succèdent aux Compagnies de Travailleurs Etrangers créées en avril 1939 pour encadrer les Républicains espagnols qui fuient en masse l’Espagne franquiste après la chute de Barcelone, en janvier 1939.
Les G.T.E. se substituent à ces Compagnies, en septembre 1940, afin d’y incorporer tous les étrangers de sexe masculin, âgés de 18 à 55 ans, considérés comme « indésirables » ou, encore, en « surnombre dans l’économie nationale »… Ils sont structurés régionalement en six groupements (à Toulouse, Montpellier, Marseille, Lyon, Clermont-Ferrand, Limoges), regroupant chacun plusieurs départements. Le Groupement n° 6 comprenait ceux de l’Indre, du Cher, de la Creuse, de la Corrèze, de la Haute-Vienne et de la Dordogne.
Ces travailleurs étrangers étaient utilisés, soit, à titre individuel, comme main d’œuvre bon marché dans des exploitations agricoles soit, collectivement, à des travaux pénibles (carbonisation du charbon de bois, mines, tourbières, travaux de voirie, usines à risque, etc.).

Les personnalités encombrantes politiquement ou à la docilité défaillante étaient envoyées dans des camps disciplinaires (Egletons, Le Vernet, etc.).
Leur organisation était basée sur une stricte séparation entre nationalités (GTE pour les Espagnols, pour les Allemands, pour les Polonais).
Le Commissariat Général aux Questions Juives introduit, en 1941, l’idée d’incorporer les israélites, sous certaines conditions, dans des groupes spécifiques. Une trentaine de ces groupes nommés « Compagnies palestiniennes homogènes » voit ainsi le jour.
Ces GTE présentent, pour Vichy, un triple avantage : création d’une structure de surveillance administrative et policière ; possibilité d’empêcher l’intégration sociale des juifs étrangers dans la société française ; main d’œuvre bon marché. La réalité de nombre de ces camps est celle de sévices physiques et moraux.
Les Juifs sont exposés à un traitement aggravé, par rapport aux autres catégories d’incorporés, qu’il est indispensable de relever lorsqu’on parle des GTE, au régime soumis à l’éventuel arbitraire du commandant du camp et de son personnel.
En Dordogne, huit GTE ont été créés dans les communes suivantes : Agonac, Castelnaud-Fayrac (qui fonctionnèrent jusqu’au mois d’avril 1941), Mauzac (en fonctionnement jusqu’au mois de septembre 1942), Le Buisson, Calviac (qui fonctionnèrent jusqu’au mois de décembre 1943), Bergerac, Saint-Astier, Chancelade (durant toute la guerre). Les GTE d’Agonac, Calstelnaud, Le Buisson, Calviac, Mauzac, Saint-Astier étaient composés d’Espagnols. Celui de Bergerac utilisait essentiellement d’Espagnols mais aussi des Juifs employés dans des entreprises telles que Guyenne-Pétrole ou les sociétés minières locales. Le GTE de Mauzac, dit « de triage », servait de centre de transit avant répartition dans d’autres GTE de la région. Le GTE de Chancelade était le siège du groupe départemental. Il était dénommé « GTE mixte » car on y incorpora des étrangers de toutes nationalités et des apatrides mais aussi des Juifs, dont une partie fut déportée.

Un grand nombre de Juifs étrangers de Dordogne incorporables dans les GTE sont passés par le GTE de Mauzac avant leur envoi dans deux GTE dits « palestiniens » destinés à éloigner ces Juifs de leurs familles et de la ligne de démarcation furent créés, celui de Soudeilles (Corrèze) et celui de Mauriac (Cantal). Les conditions de vie dans ce dernier GTE, déplacé en mars 1942 à Saint-Georges-d’Aurac (Haute-Loire), y étaient particulièrement effrayantes.
La situation des GTE en Dordogne s’inscrit dans le contexte particulier du département durant cette période : arrivée des repliés du Bas-Rhin parmi lesquels figurent de nombreux Juifs, zèle de l’administration préfectorale qui anticipe la création de GTE dits « palestiniens », zèle du département militaire, xénophobe, antisémite et répressif, perméabilité de la Résistance.
Une des réalités des GTE, prouvée par les chiffres, et qu’ils servirent de vivier pour la déportation. Ainsi, les Juifs étrangers et leurs familles y furent victimes des accords de collaboration et ils constituèrent les premières victimes des rafles de Juifs menées par Vichy en août 1942 puis en février 1943.
Mais il faut également relever que ces GTE ont abrité un certain nombre de Résistants et qu’il y eut des actions concertées avec les maquis qui eurent pour résultats de faire passer à la Résistance un certain nombre de Travailleurs Etrangers promis sinon au travail forcé en Allemagne ou au sein de l’organisation Todt sans oublier que les stocks d’habillement, chaussures, draps, nourriture de ces GTE furent souvent emportés par le maquis, qui en manquaient cruellement.
Pour en savoir davantage sur les GTE en Dordogne :
– Reviriego Bernard, Les juifs en Dordogne, 1939-1944, de l’accueil à la persécution, préface Serge Klarsfeld, Périgueux, chapitre « Les Groupements de Travailleurs Etrangers », p. 115-165, Éditions Fanlac, 2003.
– Reviriego Bernard, « Les étrangers dans la région de Limoges, entre « accueil » et rétention », Histoire et mémoires. Conflits contemporains. Limousin, Berry, Périgord, Charentes, n° 2, p. 15-52, Ed. Lucien Souny, 2010.
– Reviriego Bernard, « Les GTE en Dordogne : des camps de travail forcé au service de Vichy », Jean-Pierre Koscielniak et Philippe Souleau (dir), Vichy en Aquitaine, p. 296-309, Paris, Les éditions de l’Atelier, 2011.