1er mai 2025 – Blog de l’Association Défense et respect du Pays de Gimel
Le détachement Lucien Sampaix, de Gimel à Périgueux
En octobre 2020, nous avions rédigé un article évoquant un fait de l’histoire de Gimel, hélas souvent méconnu, même des Gimelois d’aujourd’hui : la présence, durant l’occupation, d’un groupe de résistants FTPF baptisé « Lucien Sampaix » installé en juin 1943 en aval du bourg, sur un flanc de la vallée de La Montane.[1] Le détachement migra ensuite à Saint Priest de Gimel, puis, chassé des lieux par une intervention brutale des GMR,[2] poursuivit son action en Dordogne.
Depuis quatre ans, il est réconfortant de constater que l’histoire de ces maquisards est sortie de l’ignorance et, espérons-le, de l’indifférence.
On le doit pour une large part à la création, en décembre 2021, d’une association, Les enfants et amis de ceux de Sampaix, dont le siège est à Saint Priest de Gimel et dont la présidente est madame Sylviane RANOUX.[3] Ce collectif a su mener un travail remarquable de recherche documentaire. Il est parvenu à fédérer un bel assemblage humain : réunir les enfants des membres du groupe avec celles et ceux qui, non descendants, mais attachés à la mémoire de la résistance, venus de Corrèze et de Dordogne, refusaient que l’extraordinaire périple de ces jeunes maquisards soit méconnu ou dénigré. Un travail aussi considérable que bénévole a été effectué en quelques années. Il a permis d’accéder à une connaissance de plus en plus précise, documentée et concrète du groupe Sampaix et de ses hommes, dans la totalité de leurs parcours.
Recul de l’oubli, passage de l’ombre à la lumière
Mais voici qu’en 2022, 2023 et au printemps 2025 sont parus trois ouvrages dignes d’intérêt, dont la lecture est désormais indispensable à qui souhaite mieux connaître la trajectoire hors du commun des maquisards qui formaient ce groupe, à la resituer dans son contexte, à étudier les rapports entre ces formations clandestines et les populations locales et à mieux appréhender le sens des débats que cette sombre période de l’histoire de France soulève encore aujourd’hui.
Par ordre d’apparition :
1°) Le livre de Denis Toison, Hercule & Claude, paru en novembre 2022 aux éditions de l’Oustal. [4]
Même si de nombreux récits et anecdotes relatifs à la constitution puis à l’activité du groupe SAMPAIX lors de son séjour en Corrèze (évoqués des pages 195 à 233), puis aux combats menés en Dordogne jusqu’à la libération de Périgueux, figurent dans cet ouvrage, l’objet principal du livre de Denis Toison n’était pas de retracer le parcours complet du détachement Sampaix de 1943 à 1945.
Son fil conducteur est en effet la rencontre et le parcours de vie de Roger Ranoux, le chef du groupe, et de Michelle Puyrigaud. Cette dernière était entrée en résistance active en 1943, à 17 ans, mais par une autre porte que celle d’un « Hercule » plus âgé qu’elle, repéré et encadré par Léon Lanot. Michelle et Roger s’étaient aperçus dans les défilés de la libération, mais la vraie rencontre s’était produite en 1945 dans les locaux de l’état-major FFI de Dordogne. Ils demeurèrent ensemble jusqu’à la fin des jours de Roger, le 9 juillet 2015.
L’ouvrage, notamment, est richement informé sur les rapports du couple militant avec le parti communiste français, depuis les engagements résolus de leurs jeunesses, tous deux au parti communiste, en passant pour Roger par l’accession à de hautes responsabilités nationales et locales,[5] jusqu’à une progressive prise de distance, à la fin de leurs vies. Malgré les vicissitudes et les déceptions de toutes sortes, en dépit des doutes qui avaient fini par les gagner sur le fonctionnement interne hypercentralisé et certaines positions du PCF (notamment lors des événements de mai 1968 en France et lors de l’intervention des troupes soviétique en Tchécoslovaquie trois mois plus tard). Denis Toison rappelle malicieusement à cette occasion que Michelle Puyrigaud, avec son indépendance d’esprit, et moins « coincée » que Roger dans l’appareil du parti, avait manifesté en premier ce qu’il appelle sa « disposition contestataire », influençant progressivement son mari au long de discussions ardentes.[6]
En tout cas, ils étaient demeurés l’un et l’autre fidèles à deux principes : le souci de transmettre la mémoire de la résistance et la nécessité de toujours chercher le bon chemin pour faire advenir une société plus égalitaire et plus juste. Et voilà comment, en 2000, âgé de 80 ans, Roger Ranoux, trouvait le moyen d’adhérer à l’association ATTAC ! De la jeunesse au grand âge, où qu’ils se trouvent, ces deux-là demeurèrent des lutteurs soucieux des autres, les yeux grands ouverts au monde qui les environnait et se transformait sans cesse, en bien comme en mal.
Une belle épopée où se rencontrent, s’enchevêtrent et se torsadent les fils de la guerre, de la politique et de l’amour, écrite dans un style alerte et chaleureux où affleurent émotion et admiration, dont on ne peut que recommander la lecture.
2°) Le livre de Jean-Claude Dubois. [7] Celui-ci donne à lire une histoire partielle du groupe Sampaix. Il est en effet centré sur la Corrèze (où le groupe n’est resté que presque 6 mois) et de facto sur Gimel (où il n’est resté que 3 mois). Cette partie étant elle-même focalisée sur la fusillade dramatique du 14 septembre 1943 qui avait mis aux prises une patrouille de gendarmes et quatre maquisards du groupe Sampaix.
L’ouvrage contient de précieux renseignements, par exemple sur les péripéties de l’installation à Gimel du groupe, la vie au camp (voir notamment les pages 34 à 41) et le soutien apporté par une bonne partie de la population locale, notamment ceux des lieuxdits « Mars » « la Cheynie » et « L’Espérut », mais aussi dans le bourg de Gimel. Les photographies prises et les plans dressés par l’auteur, ancien enseignant en histoire et géographie, ayant longtemps vécu à Mars avec sa famille, sont également très pertinentes pour appréhender la situation.
Malheureusement, apparaissent rapidement quelques problèmes de méthode, s’agissant d’un mémoire dont l’auteur clamait dans le quotidien La Montagne du 30 décembre 2023 : « Je suis le dernier témoin, je ne refais pas l’histoire, je la dis ! »
Des hypothèses trop vite transformées en certitudes ; un dossier judiciaire (celui provoqué par la fusillade du 14 septembre 1943 où 3 gendarmes trouvèrent la mort), lu sans esprit critique, en méconnaissant que la police et la justice l’instruisaient et le façonnaient sous l’empire des lois d’exception, avec les méthodes brutales et expéditives en vigueur durant l’occupation et des investigations bâclées; un deuxième dossier judiciaire, tout aussi important, y compris pour comprendre les failles du premier, totalement ignoré (celui ouvert contre 5 maquisards arrêtés lors l’assaut en octobre par les GMR du camp de Saint Priest où s’était réfugié le groupe juste après la fusillade) ; une version péremptoire (l’auteur affirmant avoir « écrit une histoire complète des faits qui se sont déroulés » et prétendant « clore définitivement une affaire vieille de plus de 75 ans, jusqu’ici non élucidée » (p.23) et pourtant discutable du déroulement de la fusillade; la déposition d’un mouchard malmené par la police et la gendarmerie lue sans esprit critique pour décrire les faits, alors que cet homme de 19 ans, manifestement fragile, n’était ni membre du groupe, ni témoin direct des faits, et qu’il était en même temps inculpé et incarcéré dans le deuxième dossier ; des approximations sur la composition du détachement (noms écorchés, liste incomplète, etc.), les récits des maquisards évacués d’un revers de la main et, enfin, une absence de curiosité pour le tissu humain du groupe et le devenir de ces hommes.
Par exemple, les faits survenus après l’attaque du camp de Pouymas bas le 21 octobre 1943 sont expédiés en 13 lignes de la conclusion (p.63). Or à la suite de cette opération militaire cinq Sampéistes furent condamnés par la section spéciale de la Cour d’appel de Limoges (l’une des plus redoutables mises en place en France) puis livrés aux Allemands par les autorités de Vichy pour finir par être déportés à Dachau. Jean-Claude Dubois affirme qu’ils en revinrent « sains et saufs » (p. 50). C’est vite dit : Jean Merle, dit « La Vapeur », très affaibli, ne retrouva jamais la santé et devait décéder prématurément à 50 ans. Les quatre autres, furent évidemment, au moins psychologiquement, fort affectés par les sévices et privations endurés dans les camps. Il est vrai qu’on ne saura pas, en lisant tout ce livre, que deux des membres du groupe dirigé par « Hercule » sont morts dans les combats de la Dordogne en 1944, sans parler des multiples blessés, plusieurs grièvement, comme Fernand Sallas, le seul membre du groupe originaire de Gimel, sorti de la guerre avec une invalidité à 75% du fait de ses blessures durant les combats de la Libération.
Quels que soient les mérites pour nous indéniables de l’auteur – le premier Gimelois à avoir travaillé avec constance sur cette affaire, à avoir localisé l’emplacement du camp et à se procurer auprès des archives de la justice militaire l’un des dossiers de la fusillade – on retire de son travail l’impression qu’au moment de synthétiser les informations auxquelles il avait pu avoir accès, Jean-Claude Dubois n’a pas su prendre suffisamment de distance avec une mémoire familiale dont il est demeuré prisonnier, alors qu’il aurait fallu la confronter avec ce qui pouvait la relativiser ou la contredire.
Au fond, cet ouvrage dont il est important de souligner qu’il n’est à aucun moment une charge contre la résistance en général (voir notamment les pages 17 et 18), aura surtout une fonction : transmettre, par-delà le temps passé, l’émotion et l’incompréhension d’une partie des Gimelois à l’époque très choqués par le drame de La Bitarelle qu’une presse locale aux ordres de la Préfecture de Tulle présentait comme une embuscade ignoble fomentée par une « bande d’assassins ». Ceci à l’encontre d’une patrouille de gendarmes paisibles, alors qu’il ressort clairement des archives judiciaires que ceux-ci avaient, ce jour-là, pour mission de rechercher la présence de « bandes armées du côté de la ferme de l’Esperut » à l’aval du bourg de Gimel. Précision que Jean-Claude Dubois, n’éprouve pas le besoin d’apporter à ses lecteurs, bien qu’elle figure dans le dossier du tribunal de Tulle qu’il s’était procuré en 2016.
Un « mémoire » certainement à lire, donc. Mais avec circonspection, en ne manquant pas de le compléter par d’autres lectures, en raison de quelques défauts méthodologiques, d’inexactitudes factuelles ou d’omissions qui auraient pu être évitées et d’un champ d’étude trop restreint ne permettant pas de redonner au groupe sa complexité et de percevoir sa dynamique d’ensemble de 1943 à 1945.[8]
3°) Enfin, le livre de Serge Ruaud, Frères d’ombre.[9] Sans mésestimer l’intérêt des deux ouvrages qui l’ont précédé, c’est ce travail qui nous paraît le plus enrichissant, le plus complet et le mieux étayé pour parvenir à une connaissance sérieuse de son sujet annoncé : le groupe Lucien Sampaix, de sa création à sa dissolution.
Un travail exemplaire sur l’histoire du groupe et de ses membres
Frères d’ombre est consacré à nourrir une connaissance concrète et approfondie du détachement Lucien Sampaix. Le Toison, focalisé sur le parcours de vie de Roger Ranoux et de Michelle Puyrigaud, n’avait pas cette prétention. Le Dubois, centré sur les 3 mois de séjour en Corrèze du groupe (juin-octobre 1943), avait notamment laissé de côté le « moment Dordogne », le plus long dans l’histoire du groupe, alors qu’il est décisif pour saisir la dynamique du groupe et reconstituer les actes et les mentalités des hommes passés dans ses rangs.
Le Ruaud, lui, se veut une reconstitution scrupuleuse du périple du groupe de 1943 à 1945, de sa naissance en Corrèze à la résistance en Dordogne, en y ajoutant les ennuis judiciaires de 4 de ses membres qui, sur la base des poursuites entamées dès 1943 par la justice vichyssoise suite à la mort de trois gendarmes lors d’une fusillade le 14 septembre à la Gimel, se sont poursuivis jusqu’en janvier 1951. Une vue d’ensemble est désormais possible., même si bien sûr des sources et des traces ont disparu, rendant impossible toute exhaustivité.
L’auteur écrit : « (…) ces garçons ont tout abandonné pour prendre les armes et ont tous accepté de partager la rude vie du maquis en totale solidarité avec leurs camarades. En conséquence, les épreuves qu’ils ont traversées, les tâches et les actions auxquelles ils ont participé devraient en raconter aussi long sur la force de leur engagement et sur le courage dont ils ont dû faire preuve ! »[10]
Le recensement des actions menées contre l’occupant est extrêmement détaillé. A sa lecture, on ne peut qu’être impressionné par leur nombre, leur intensité, leur dangerosité et les risques incessants si ce n’est insensés pris par ces très jeunes hommes durant ces deux ans de combat. Par exemple, Serge Ruaud s’est attaché, archives de police et de gendarmerie à l’appui, à recenser les seules actions menées par le groupe durant son séjour à Gimel de juillet à octobre 1943, alors même qu’il venait tout juste de se former : on en compte près de 18, certaines fort risquées (attaques de centrale électrique, de voies ferrées, de lignes à haute tension, réquisitions dans des bureaux de tabac, des campements de chantiers de jeunesse, des usines ou dépôts de gare, intimidation de collaborationnistes actifs, etc.).[11]
Les actions multiples du groupe en Dordogne – d’abord essentiellement défensives, puis résolument offensives à partir d’une réunion de l’état-major FTPF tenue à Limoges le 16 février 1944, laquelle décide de passer d’actions centrées sur les sabotages à une « lutte à mort » contre l’occupant, bref d’ouvrir la voie à une authentique guérilla – sont de même longuement et en détails évoquées par Serge Ruaud…[12]
Résistants de base
Mais Frères d’ombre n’est pas que la restitution d’un remarquable travail de documentation, nourri du récit du père de l’auteur, Bernard Ruaud, minutieusement recueilli et publié par ses soins,[13] de ses recherches personnelles et de celles effectuées par les membres de l’association « des enfants et amis de ceux de Lucien Sampaix ». Passant avec finesse des éléments factuels aux données humaines, de l’histoire froide à l’histoire chaude, des événements aux affects qu’ils créent chez leurs acteurs ou témoins, le livre est comme une fenêtre ouverte sur un moment particulier, localisé mais tellement signifiant, de la résistance d’en bas.
Les membres du groupe y sont restitués dans leurs identités, leur complexité, leur foi et leurs doutes, leur évolution. Dès le début de l’ouvrage, un chapitre (« Qui étaient-ils ? », p.27 à 44) est consacré à une saisissante galerie de portraits de 11 des 30 membres du groupe tels qu’il étaient au début de leur engagement. D’emblée, le ton est donné : ici, on parlera d’hommes, tous ensemble jetés dans la cruelle mêlée de l’occupation, mais tous singuliers par leurs origines et leurs antécédents.
Les noms de ces modestes héros (accompagnés de leurs pseudonymes) méritent ici d’être cités :
Roger Ranoux (Hercule), Guy Ranoux (Mickey), Jean Eyrolle (Le Frisé), François Géraudie (Crainque), Maurice Teindas (Oscar), Fernand Sallas (Dévoué), Pierre Michaud (Mimile), Bernard Ruaud (Popeye), Pierre Crampe (Zorro), Jean Tessou (Jacques), Paul Ranoux (Apollon)…
Ce n’est pas tout : le livre se termine par un autre chapitre hautement significatif (« Que sont-ils devenus ? », p. 253 à 270), qui retrace avec minutie le parcours après-guerre de 19 résistants passés par le groupe Sampaix dés la Corrèze ou en Dordogne. Aux premiers cités plus haut s’ajoutent ainsi :
Jean Bayle (Margot), Jean Boudin (Jeannot), Fernand Geneste (Dudule), Roger Henot (Donald ou Sacco), Jean Marçais (La fleur), Jean Merle (La vapeur ou le coiffeur), Roger Ronceret (Caïd), Fernand Stéphan (L’intrépide)…
Ainsi, du début à la fin le livre est traversé et irrigué d’une approche profondément humaniste. Certes, les maquisards sont entrés dans un collectif, une petite structure, avec ce que cela suppose de contraintes, de discipline et d’étroite dépendance mutuelle pour faire face aux dangers d’une action qui n’était pas que de parole, mais ils y restaient des individus, avec leur singularité, leur diversité, des caractères, des réactions et des histoires différentes. La méthode de travail de Serge Ruaud nous permet, autant qu’il est possible 80 ans plus tard, d’approcher cette complexité humaine et, peut-être surtout, de redonner un visage à ces hommes.[14]
Pour autant, le contexte politico-militaire de 1943 à 1944 n’est nullement ignoré, mais bien mis en place et souligné. La tentation est forte, dans quelques ouvrages locaux sur la résistance, au moment d’aborder le contexte, de céder parfois à une langue de bois partisane un peu creuse, généraliste et répétitive. Rien de tel ici. Le contexte n’est pas qu’un décor de fond de scène, comme séparé du lieu des actes où est jouée la pièce : il est en même temps transcendant et immanent aux acteurs, comme une force qui influe et pénètre chacun d’entre eux, qui agit en eux et sur eux, les transformant, certes, au contact des dures réalités de la guerre, mais jamais au point de les effacer comme individus singuliers.
Le groupe Sampaix agissait dans une situation plus qu’exceptionnelle, inouïe : l’occupation du pays par une armée étrangère féroce et un régime d’Etat, celui de Pétain, Laval et consorts qui, sur la base de l’effondrement militaire, politique et moral de la 3ème République et du désarroi du peuple français profitait de l’occasion pour dissoudre tous les pouvoirs législatif et judiciaire dans le seul exécutif et imposer à la France une contre-révolution nationale brutale et sans recours, usant d’une police, d’une gendarmerie et d’une justice aux ordres en tant qu’institutions soumises au deal avec l’occupant négocié par Pétain, Laval et Barthélemy, le garde des sceaux de l’époque.[15]
L’ouvrage se signale aussi par l’honnêteté avec laquelle l’auteur reconnaît que, sur certains points précis, sa quête est demeurée vaine, et que, le temps passé, des incertitudes subsistent, lui commandant de suspendre son jugement. Il en va ainsi des différentes hypothèses qui ont été émises sur la fusillade tragique de septembre 1943 à Gimel (lieu dit La Bitarelle). Celle-ci fait l’objet d’une annexe prudemment nommée « Essai de synthèse »,[16] dans laquelle on peut lire, après un exposé succinct des faits puis des procédures judiciaires auxquelles ils ont donné lieu : « (…) au bout du compte et d’un point de vue purement factuel, la seule certitude qui se dégage de cette affaire à travers les éléments des dossiers, est que rien ne permet d’en juger aujourd’hui mieux qu’hier, c’est-à-dire en parfaite connaissance de cause. » Ayant nous même travaillé sur cette affaire et plongé dans les deux dossiers judiciaires qui directement ou indirectement ont un rapport avec elle, en mettant à jour leurs interférences manifestes, nous saluons cette balance du connu et de l’inconnu, cet aveu de modestie historienne, tout en marquant un léger désaccord, car nous estimons que sur pas mal de points, nonobstant les doutes qui subsistent, nous en savons nettement plus qu’hier…[17]
Saluons enfin le travail de l’éditeur (Mémoring) qui a permis au livre de contenir de nombreux documents étayant les dires de l’auteur, à l’aide de multiples prises de vues photographiques, plans, documents d’archives et reproductions de procès-verbaux tirés des archives judiciaires et de pages de journaux. Ces images et illustrations ne sont pas que des respirations bénéfiques pour le lecteur : elles permettent, presque autant que le texte, de mieux réaliser de quoi et de qui on parle lorsqu’on évoque une période qui continue de s’éloigner de nous et dont les témoins directs ont tous disparu.
Grâce à ce beau livre, Serge Ruaud – avec le soutien actif de celles et ceux qui par leurs récits et/ou les documents transmis ont stimulé et nourri sa recherche – apporte une contribution rigoureuse à une histoire vivante de la résistance en Corrèze et Dordogne. Labeur de mémoire précieux, qui réussit l’exploit de faire passer un groupe d’hommes remarquables de l’ombre à la lumière. Qui détonne dans un air du temps propice à l’oubli, aux simplifications et jugements expéditifs.
Un travail qui restera une référence incontournable. Mais qui, par ricochet, portera aussi une contradiction salutaire à la montée en puissance des ouragans obscurs qui, ici et ailleurs, pointent à notre horizon.
Que de tout cela il soit vivement remercié.
Didier Peyrat
1er mai 2025.
Photo de couverture : vue de la forêt de Chadon, refuge du camp Sampaix © Didier Peyrat 2024
[1] Cf. Blog de l’association Défense et respect du pays de Gimel : 1943 : Résistances au pays de Gimel, Didier Peyrat, article paru le 28/10/2020. https://assdefensegimel.over-blog.com/
[2] Groupe Mobile de Réserve : formation parapolicière très brutale, utilisée par Vichy pour pourchasser et réprimer les différents groupes de maquisards.
[3] Voir la présentation de cette association sur le site de la mairie de Saint Priest de Gimel : https://www.saint-priest-de-gimel.fr/les-associations/#Luciensampeix
[4] Denis Toison, Hercule & Claude (du devoir de résistance au désir d’humanité), paru en novembre 2022 aux éditions de l’Oustal (556 p.).
[5] Roger Ranoux fut député de la Dordogne, membre du groupe parlementaire communiste, de janvier 1956 à novembre 1958. Il fût également maire de la commune de Montrem durant trois mandats de 1977 à 1995.
[6] Cf. Hercule et Claude, op. cit. p.508 et 509.
[7] Jean-Claude Dubois, Le camp du maquis FTPF Lucien Sampaix (Gimel les cascades, été 1943), paru en octobre 2023 aux éditions Mille sources (75 p.).
[8] Il est compréhensible, certes, que l’affectif l’ait parfois emporté sur les scrupules de la vérification. Cependant, ces entorses au devoir d’exactitude ont d’inévitables conséquences. Ainsi, le quotidien La Montagne, après l’avoir rencontré, présentait, en titre de son article du 10/12/2023 l’étude de J-C Dubois sur la fusillade comme « écrite par son dernier témoin », alors qu’il avait 4 ans au moment des événements de septembre 1943… et relayait sans réserve aucune la thèse de « l’embuscade » fomentée par les maquisards soutenue mordicus par monsieur Dubois. Cédant un peu au sensationnalisme, la totalité de l’article était consacrée à cette affaire des gendarmes, alors que le livre comprenait, nous l’avons dit, bien d’autres éléments intéressants sur l’installation à Gimel du groupe Sampaix, sa composition, et ses rapports avec la population locale.
[9] Serge Ruaud, Frères d’ombre/ Ceux de Lucien Sampaix (De la Corrèze à la Dordogne 1943-1945), paru en avril 2025 aux éditions Memoring (315 p.).
[10] Cf. Frères d’Ombre, op. cit, p.46.
[11] Cf. Frères d’Ombre, op.cit, p.75 à 93.
[12] Cf. Frères d’ombre, op. cit, p. 143 à 230.
[13] Cf. Né un vendredi 13/Souvenirs par Bernard Ruaud, Editions du Trèfle, décembre 2019.
[14] Voir les beaux visages des membres du groupe, retrouvés et reproduits p. 48 et 49 de Frères d’Ombre, op. cit.
[15] Une instrumentation de ces institutions en tant que systèmes, qui n’excluaient pas des actes individuels courageux de policiers ou gendarmes rebelles à la sale besogne qu’on exigeait d’eux, notamment pour la traque des réfractaires au STO et la chasse aux juifs d’origine étrangère.
[16] Frères d’ombre, op.cit, p.271 à 277.
[17] Nous renvoyons ici à un travail mené depuis 2020 : « La fusillade de Gimel/Enquête sur une tragédie corrézienne et ses prolongements dans le temps », désormais achevé et à paraître, nous l’espérons, dans un futur proche.