Les rafles de février 1943: Un nouvel ouvrage de Bernard Reviriego
Bernard Reviriego, ancien conservateur en chef du patrimoine aux archives départementales, membre de notre Groupe de travail historique, publie un nouvel ouvrage sur les juifs réfugiés en Dordogne: Les rafles de février 1943.
Voici l’article publié par Hervé Chassain dans l’édition de la dordogne de Sud-Ouest le dimanche 12 février:
I l y a 80 ans, les 23, 24 et 27 février 1943, 75 Juifs étrangers, réfugiés dans le département de la Dordogne, étaient arrêtés et rassemblés au gymnase Secrestat de Périgueux, avant d’être envoyés en déportation. À ceux-là, furent ajoutées 44 personnes ayant résidé en Périgord, arrêtées au cours des mois précédents et déjà internées dans des camps de la région.
Ces grandes rafles étaient presque tombées dans l’oubli. Mais grâce au travail de fond de Bernard Reviriego, ancien conservateur aux archives départementales de la Dordogne, la mémoire revient. Le nouveau livre qu’il vient de publier aux Éditions Fanlac (1) après vingt ans de recherches, détaille cette histoire.
Le gouvernement de Vichy s’était engagé à livrer 2 000 Juifs aux nazis, en guise représailles à la suite de l’exécution par des résistants de deux officiers allemands à Paris le 13 février. La Dordogne devait participer à hauteur de 90 otages. L’administration de l’époque s’est basée sur les recensements obligatoires des israélites (6 065 dont 2 265 étrangers en 1941) pour dresser des listes d’hommes de 18 à 65 ans. Étaient normalement exemptés « ceux qui avaient rendu des services civils ou militaires à la France ». Pour prévoir large, 256 noms ont été retenus.
Arrestations à l’aube
Grâce aux documents d’époque, on découvre la mécanique administrative pour organiser cette terrible opération, jusqu’à son coût, 32 889,50 francs, pour dédommager les propriétaires de véhicules réquisitionnés, louer un gymnase et livrer des repas. « Je suis allé d’étonnement en étonnement, » avoue Bernard Reviriego qui a dépouillé les archives. On y lit la froideur de cette organisation face à « l’inhumaine réalité des arrestations, à l’aube et en catimini, afin de prévenir toute résistance », note l’historien. La préfecture coordonne et les gendarmes exécutent sur le terrain. Les rapports de gendarmerie éclairent sur les comportements des différentes brigades. Il y a les zélés, qui opèrent dès 4 heures du matin et font des recherches jusque dans les hôtels pour ne rater personne. Il y a ceux qui passent la veille en repérage et qui ne trouvent personne le lendemain. Certains font du chiffre alors que d’autres gendarmes, comme ceux de Terrasson-Lavilledieu, n’ont pas de chance, leurs cibles ayant été prévenues. Il y a des résistants parmi les gendarmes, dont le chef d’escadron Clech, déporté en juillet 1943 : la caserne de Périgueux porte son nom. Dans l’administration, certains fonctionnaires s’arrangent pour faire fuiter les préparatifs de rafles. Une lumière, allumée le soir au troisième étage de la préfecture de Périgueux, est alors un signal connu.
Une enquête policière
Dans la préface du livre, Serge Klarsfeld, l’historien incontournable de la déportation des Juifs, explique que ce travail mené à l’échelle d’un département « n’est pas de la microhistoire, mais tout simplement de l’histoire ». Bernard Reviriego, connu pour sa rigueur, a mené une enquête quasi policière pour identifier les victimes en retrouvant les familles : « Pour certains, il n’y a plus personne, tous ont disparu… ». L’orthographe des noms d’origine étrangère a souvent été malmenée dans les rapports officiels, compliquant les choses. « Ce travail de mémoire ne sera jamais achevé », soupire-t-il.
Les 75 raflés de Secrestat ont été envoyés dans des camps de regroupements comme ceux de Gurs, près d’Oloron-SainteMarie dans les Pyrénées, ou Nexon, près de Limoges (87). Ces otages, ainsi que les 44 déjà internés, ont fini dans les chambres à gaz ou les chantiers d’extermination à Sobibor, Maïdanek ou Auschwitz. Tous, sauf un qui a réussi à s’évader durant un transfert. À travers les biographies de toutes les victimes, parfois avec une photo, l’auteur rappelle qui étaient ces hommes raflés en Dordogne et que l’on n’a pas vu mourir ici. Les stèles et les commémorations alimentent le devoir de mémoire. Il y eut environ 2 000 déportés durant la guerre en Dordogne et plus de 1 000 fusillés. On ne peut plus les oublier. « Juifs réfugiés en Dordogne, les rafles de février 1943 » par Bernard Reviriego (Fanlac). Prix : 22 euros. L’auteur doit aussi donner une conférence à la médiathèque de Périgueux mercredi 22 février.
Grâce à Bernard Reviriego, Franck Fajnkuchen a écrit l’histoire de son grand-père Manek, arrêté et déporté
Son livre de référence « Les Juifs en Dordogne, de l’accueil à la persécution », publié en 2003 chez Fanlac, a fait de Bernard Reviriego un référent sur le sujet. Depuis près de vingt ans en relation avec les familles pour compléter les parcours des déportés, l’ancien conservateur aux archives départementales de la Dordogne a réveillé le besoin de mémoire. Ainsi, Franck Fajnkuchen, praticien hospitalier en région parisienne, a entamé un long travail de recherche pour retracer le destin de ses grands-parents, Manek et Erna. Ils se sont réfugiés durant quatre ans en Dordogne avec une trentaine de membres de leur famille.
Le livre de Franck Fajnkuchen raconte cette vie en suspens, de ces Juifs d’origine polonaise persécutés par certains, aidés par d’autres. Une jeune secrétaire de la milice, Huguette Conquet, naïve et généreuse, a hébergé et défendu des Juifs. Elle a fini exécutée en 1944 par des résistants de la dernière heure, malgré les témoignages de ses protégés. Quant à Manek, fil rouge de toute cette histoire, il sera arrêté à Lyon et ne reviendra jamais, vraisemblablement déporté à Auschwitz.
H. C. « Yzkor, une famille juive en France entre 1940 et 1944 » par Franck Fajnkuchen (Éditions Secrets de pays). Prix : 20 euros.