La rafle de La Bachellerie: Témoignage de Benjamin Schupack

La rafle de La Bachellerie: Témoignage de Benjamin Schupack

Article d’Hervé Chassain dans l’édition de la Dordogne de Sud-Ouest le 5 octobre 2021:

« Durant des décennies, Benjamin Schupack avait occulté sa terrible histoire. Mais depuis une quinzaine d’années, elle a refait surface et il revient périodiquement à La Bachellerie, afin qu’on n’oublie pas le 30 mars 1944.

Il en fait encore des cauchemars : c’est le jour où sa maman, âgée de 42 ans, et son petit frère de 9 ans ont été raflés par des soldats allemands et envoyés en déportation à Auschwitz. Il ne les a jamais revus. Il a fallu attendre 2008 pour qu’un monument commémoratif conserve leur nom. À 92 ans, Benjamin Schupack est revenu passer quelques jours en Périgord pour prolonger la mémoire, à travers un film que tourne son petit-fils cinéaste professionnel, Jonathan Schupak. Lui a échappé à la rafle « par hasard ou par miracle, même si je ne suis pas croyant », comme il dit. Il raconte qu’à la gare de La Bachellerie, quelqu’un lui avait dit : « Tu ne crains rien, ils ne s’en prennent qu’aux résistants, aux communistes et aux juifs. » Benjamin Schupack, alsacien et juif alors âgé de 15 ans, qui faisait beaucoup plus jeune et ne portait aucun signe trahissant ses origines, revenait en train de Périgueux. « Quand je suis arrivé, j’avais deux énormes paquets qui contenaient du pain azyme acheté pour fêter Pâques en famille. Un soldat allemand m’a même aidé à porter mes paquets ! »

« Ne rentre pas chez toi »

Dans La Bachellerie, il y avait des militaires partout et quelques maisons brûlaient. La division Brehmer était arrivée le matin et avait massacré des hommes qui étaient sur des listes fournies par la milice française. « Les enfants Schenkel étaient dans le même train que moi : j’ai dit à l’aînée “surtout ne rentre pas chez toi”. » Mais ils y sont revenus, accompagnés d’une dame qui croyait bien faire. Ils ont été arrêtés et déportés.

L’histoire des six enfants Schenkel et de leur mère, gazés à Auschwitz, racontée par Martial Faucon dans « Les Enfants martyrs de La Bachellerie » (voir également l’article « Les combats de Martial Faucon »), a ensuite inspiré l’écrivain Jean-Marc Parisis dans « Les Inoubliables », publié en 2014 chez Flammarion.

« Ce n’est qu’un enfant… »

Le petit Benjamin avait compris le danger. Il a pris des chemins détournés pour se rapprocher de sa maison et s’est caché dans une grange à proximité. Dans la soirée, il a fini par rentrer chez son voisin Émile Christoflour. « Il y avait deux Allemands qui buvaient un coup. C’était étrange, car ce n’était pas un collabo. Je lui ai dit “Tonton, j’ai peur de rentrer à la maison à cause du couvre-feu”. Comme je comprends l’allemand j’ai entendu l’un dire : “On l’emmène à la Kommandantur.” L’autre lui a répondu : “Ce n’est qu’un enfant…” Et ils sont partis. Ma voisine m’a raconté ce qu’il s’était passé, que toute ma famille avait été amenée à Périgueux. » Mais Benjamin Schupack savait que son père et son autre frère passaient la journée sur les coteaux du côté d’Azerat où ils aménageaient la grange de La Querlie, au lieu-dit Veyre. « J’ai couru dans la nuit comme Zatopek pour les retrouver et je leur ai tout raconté… Quelques jours plus tard, on nous a accompagnés pour prendre un train pour Lyon. Jusqu’à la Libération, on espérait voir revenir ma mère et mon frère.

On a eu des détails que bien plus tard. Ils avaient été tués dès l’arrivée au camp. Après, on a bien dû passer à autre chose. » Benjamin a fait sa vie à Lyon, Belfort et aujourd’hui, il est domicilié dans l’Hérault. Des photos retrouvées Son petit-fils Jonathan, imprégné par cette histoire familiale, tourne un film sur le thème de la transmission. Une mémoire alimentée depuis peu par des photos de famille retrouvées dans les affaires du père de Benjamin : des images prises en 1944 à La Bachellerie, où l’on voit les trois frères et la mère autour de la table de cuisine. « Elles avaient dû être sauvées dans une valise que mon père avait confiée à un voisin et qu’il a récupérée après la guerre. » À la stèle à La Bachellerie, construite à côté du monument aux morts inauguré en 2008, sur les 33 noms de personnes déportées le 30 mars 1944, neuf sont de la famille de Benjamin Schupack. Seulement quatre sont revenues vivantes. »

                                                       

Spread the love
Les commentaires sont clos.