L’orphelinat juif de Bergerac

L’orphelinat juif de Bergerac

Nous devons à Rainer-Maria Hankel, professeur d’allemand au lycée Maine-de-Biran et à Bernard Reviriego, ancien Conservateur en chef du patrimoine aux archives départementales, membre du Groupe de travail historique du CDM 24, la découverte de l’émouvante histoire de l’orphelinat juif de Bergerac. Thomas Jonckeau a publié un article sur leurs travaux dans l’édition de la Dordogne du journal Sud-Ouest le dimanche 9 juin 2024, date, par ailleurs des élections européennes, comme un rappel de ce risque que nous font courir les électeurs de l’extrême droite en accordant leur suffrage à ses idéologies mortifères et dévastatrices.

Qui se souvient que, pendant la Seconde Guerre mondiale, Bergerac a abrité un orphelinat israélite, qui a permis de sauver des dizaines d’enfants de la déportation ? Bien peu de monde. Et pour cause : il ne reste presqu’aucune trace du baraquement construit entre 1939 et 1940 à l’angle des rues Valette et Sévigné.

Aujourd’hui, c’est juste « le parking des profs » du lycée Maine-de-Biran, et ici, tout le monde, ou presque, avait oublié l’histoire de l’orphelinat et l’héroïsme de ceux qui l’ont administré. Mais le travail de deux passionnés d’histoire fait renaître sa mémoire : l’ancien archiviste Bernard Reviriego et Rainer-Maria Hankel, professeur d’allemand au lycée.

L’histoire commence au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque 80 000 Alsaciens trouvent refuge en Dordogne. Trois orphelinats de Strasbourg et Haguenau atterrissent à Bergerac et sont réunis dans un bâtiment construit spécialement, le long d’un boulodrome prisé des habitants du quartier.

Cet orphelinat, dirigé par les Œuvres d’aide sociale israélite (Oasi), accueille en permanence une cinquantaine d’enfants : des orphelins juifs de Strabourg et sa région mais aussi des petits de déportés, d’autres envoyés d’Allemagne, après avoir échappé aux persécutions et aux rafles, d’autres encore sauvés des camps d’internement.

Héroïques

« À l’âge de 10 ans, certains ne savaient pas écrire, voire ne parlaient même pas, raconte Bernard Reviriego. Ils avaient un retard considérable. Ils étaient déracinés, avaient perdu leurs parents et se trouvaient dans un état de stress énorme. Certains avaient été victimes des Nuits de cristal de 1938 et avaient été bringuebalés à travers l’Europe. » Àpartir de 1942, avec le franchissement, par les Allemands, de la Ligne de démarcation et l’intensification des rafles, l’orphelinat juif n’est plus sûr, et il faut disperser les jeunes. Des circuits clandestins sont mis en place pour les cacher dans des familles ou d’autres institutions du Périgord.

Le 4 avril, 1944, la Gestapo fait irruption dans les bureaux de l’Oasi (1) et y arrête cinq personnes, qui ont été déportées à Auschwitz. « On doit à leur action et à leur courage le fait que tous les enfants ont survécu », conclut Bernard Reviriego. L’historien amateur travaille depuis plus de vingt ans sur la mémoire de la guerre en Dordogne. Il prépare un livre sur l’histoire de l’orphelinat et a rédigé un article dans le prochain numéro de la revue « Secret de pays ». Quant aux traces physiques, il n’en reste plus, ou presque. « Le bâtiment a été détruit dans les années 1950 et 1960. »

Enquête

C’est à un professeur d’allemand au lycée Maine-de-Biran que l’on doit d’avoir retrouvé l’emplacement précis. « Je cherchais à raccrocher le programme d’histoire à quelque chose de local, se souvient RainerMaria Hankelet. Je suis tombé sur un article mentionnant l’orphelinat. Mais autour de moi, personne n’en avait jamais entendu parler. Aux Archives départementales, rien non plus. Pendant des mois, j’ai cherché en vain. »

Sa quête le mène finalement à Bernard Reviriego, qui connaît bien l’histoire de l’orphelinat. « Il m’a confirmé que ça avait existé mais il fallait encore le localiser précisément. J’ai pu le faire à partir de photos du fonds d’archives privé Bondier-Lecat en retrouvant deux bâtiments proches encore debout et un vieux support de lampadaire toujours incrusté dans un platane. J’ai pu localiser le site presque au mètre près. C’était le parking où je me garais tous les matins. »

C’était en 2021. Depuis, l’enseignant s’efforce de faire vivre cette mémoire avec ses élèves. « Nous faisons venir chaque année des rescapés qui témoignent devant eux et puis nous avons poursuivi les recherches avec quelques lycéens, en faisant un mur d’investigation, comme dans les films policiers. Il a été exposé un temps dans le hall de l’établissement scolaire. »

«Ça patine »

Mais pour les deux hommes, il faut graver cette histoire dans le marbre. « Il faudrait une plaque commémorative mais pas quelque chose de caché, dans un coin, plaide Rainer-Maria Hankel. Il faut que chaque élève qui entre au lycée trébuche dessus pour que personne ne le quitte sans savoir que ça a existé. »

Seulement, voilà : « La municipalité de Bergerac et le lycée sont au courant, mais on n’arrive pas à passer à l’étape supérieure », regrette Bernard Reviriego. « Ça patine, confirme Rainer-Maria Hankel. Je ne comprends pas pourquoi ça ne bouge pas. Peut-être qu’un article fera avancer les choses. »

(1) Situés rue Thiers, à Périgueux

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