Quand Hercule sortait du bois

Quand Hercule sortait du bois

Remarquable article de Dominique Richard dans Sud-Ouest ce lundi 27 août 2018 sur le parcours de Roger Ranoux, bien connu des Périgourdins sous son nom de résistant, « Hercule »:

« HISTOIRE Le Sud-Ouest commémore le 74e anniversaire de la Libération.

Portrait posthume d’un grand résistant périgourdin

Chaque année, lorsque la rentrée approche, des rassemblements de plus en plus modestes se forment dans les principales villes du Sud-Ouest pour célébrer la Libération. Entre le 15 et le 30 août 1944, elles ont vu les Allemands, talonnés par les maquisards, s’enfuir en bon ordre. Le temps a dissous les rangs des acteurs et des témoins de cette époque. Ne reste, comme le glisse l’historienne Anne-Marie Cocula, que le souvenir fragile de celles et ceux «qui, tels des soldats de Marathon, ont porté aux côtés des alliés les couleurs de la victoire et l’ont rendue possible. »

Décédé il y a trois ans à 93 ans, le Périgourdin Roger Ranoux était l’un de ceux-là, l’un de ces anonymes qui se sont enfoncés dans les bois au printemps 1943. Ce fils de cheminot a été porté par le grand espoir du Front populaire, adhérant à la fleur de l’adolescence, alors qu’il est apprenti mécanicien, aux Jeunesses communistes. Comme beaucoup d’autres dans cette vallée de la Vézère, terre d’élection du romancier Eugène Le Roy, il a lu « Jacquou le Croquant ».

« De quoi former des esprits rebelles à toute sujétion », dira bien plus tard celui que ses camarades ne vont pas tarder à surnommer Hercule, du fait de sa grande taille. Les luttes sociales, l’engagement en faveur des réfugiés républicains espagnols parqués dans des camps, la conviction – comme Jaurès – que le capitalisme porte en lui la guerre, l’ont façonné.

«Une autorité naturelle»

Mais la Dordogne est toujours en zone libre et le doute né du pacte germano-soviétique a désarçonné nombre de militants communistes. Fin 1942, après l’attaquent de l’URSS, le franchissement de la ligne de démarcation par les nazis et l’instauration du service du travail obligatoire, l’heure n’est plus aux tergiversations.

Lesté d’un maigre balluchon et accompagné de son frère, Roger Ranoux rallie les forêts de la Haute-Corrèze, où nombre de réfractaires se sont réfugiés. La Résistance n’est encore qu’un désordre de courage. « Mon père avait une autorité naturelle », se souvient sa fille Sylviane. Rapidement, il prend la tête d’un détachement d’une vingtaine d’hommes. C’est le temps des premiers sabotages, des premiers accrochages. Trois gendarmes à la solde de l’occupant en paient le prix. Quelques collaborateurs, aussi. Sur ce terrain difficile où la pression des miliciens et des supplétifs de Vichy est constante, les maquisards s’aguerrissent.

«La règle, marcher devant»

De retour en Dordogne, Hercule et ses hommes n’hésitent plus à attaquer les convois allemands. Ils paralysent les chaînes de production de l’usine Progil du Lardin, font sauter 14 locomotives à Périgueux et endommagent les installations du barrage de Mauzac. Les incursions sanglantes des divisions Brehmer et Das Reich ne les réduisent pas au silence. Beaucoup de résistants tombent. Mais un chef est né. En quelques mois, Hercules’est fait un nom.

À la veille de la Libération, il devient l’un des deux responsables départementaux des Forces françaises del’intérieur (FFI). « Si je suis arrivé là, c’est parce que les autres n’y étaient plus. Le plus dur, c’est de prendre des décisions et de savoir que les autres vont mourir. Mais dans ces conditions, la règle, c’est de marcher devant. »

Il fuyait les basses querelles

Après la capitulation de l’Allemagne, Hercule quitte l’armée dans laquelle il s’était engagé. Pas question d’enfermer sa liberté sous la camisole d’un uniforme. Ni de tirer un quelconque avantage de ses états de service. « Il n’avait pas un brin de vanité. Les honneurs, le pouvoir, cela ne l’intéressait pas. Seuls comptaient l’engagement, le collectif », se souvient son vieil ami Martial Faucon.

Le Parti communiste le mettra un temps en avant. Il sera élu député dans les années 1950. Mais, bien vite, cet humaniste s’éloignera des apparatchiks et des staliniens, qui iront jusqu’à présenter une liste contre lui lors des municipales dans le petit village dont il était l’indéboulonnable maire.

Soucieux de préserver l’image de la Résistance, il fuyait les basses querelles. Seul lui importait de rester fidèle  à ses idéaux de jeunesse et à cette fraternité née au fond des bois entre des gens, comme le disait Jacques Chaban-Delmas, que « tout séparait sauf l’essentiel. » »

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