A.N.A.C.R. Dordogne

Cinq maquisards. sont tués en combat au village des Merles, les cinq autres, pris en otages, sont lâchement fusillés par les Allemands et les miliciens.

Une plaque est apposée aux Merles. là ou eut lieu la tragédie, ainsi qu’une stèle à la croisée des routes, a l’entrée du village.

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Mémorial de la Résistance

28 avril 1944:

BILLAT Jean, 21 ans, habitant à !iftiers

BOULANGER Pierre, 52 ans

CHOLET François, 30 ans

COMBEAU Marc, 22 ans

MAGNESSE Pierre, 30 ans

MARTIN Marcel, 20 ans

MOREAU Yves, 19 ans

RUFFINO Manuel, 20 ans

TREMOULINAS Raoul, Jean, 19 ans

VIDEAU André, 20 ans

CHEMINS DE LA MEMOIRE

Sur un emplacement en triangle rectangle isocèle, limité côté route par un balustre fait de poteaux en ciment, imitation bois, un fût central portant une plaque commémore le massacre du 28 avril 1944.

On y lit : « Dans le village des Merles, le 28 avril 1944, BOULANGER P., 52 ans ; BILLAT L., 21 ans ; COMBEAU M., 22 ans ; CHOLET F., 30 ans ; MARTIN M., 20 ans ; MOREAU G., 19 ans ; MAGNES P., 30 ans ; RUFFINO M, 20 ans ; TREMOULINAS R., 19 ans ; VIDEAU A., 20 ans ont été martyrisés et lâchement fusillés par les Allemands et les miliciens de Darnand. Honte à jamais au fascisme et à la sauvagerie nazie. »
Ce monument des Merles a été érigé, en hommage à ses camarades, par Florindo Téseï, lui-même pris en otage et relâché. Grâce à Monsieur Jean-Robert Fargeot, maire de la commune, nous avons pu récupérer le récit élaboré par l’intéressé, quelques temps après ce tragique événement :
« Mes pauvres copains, je vous ai vus pour la dernière fois quelques minutes seulement avant que les mercenaires de la « Phalange Africaine », à la solde des assassins de Berlin, vous massacrent et vous torturent. […] Aujourd’hui, je vais parler de vous pour que chacun sache comment on vous assassina et comment fut pillé le village. […] Il était environ 6 heures du soir, le 28 avril 1944. Nous étions en train de travailler dans un champ, quand nous parvint le bruit d’une première rafale de mitraillette, puis celui d’une fusillade nourrie. « Que faire ? » me dit mon vieil ami Mazeau, qui travaillait avec moi. « Fuir ? » Impossible, on tirait au hasard de toutes parts. Après de courts instants consacrés à la réflexion, on décida de se rendre tranquillement, « du moins en apparence », chez soi, l’outil sur l’épaule. En route, on croisa les Boches qui, par hasard, ne nous aperçurent pas. Nous pensions être sauvés. Malheureusement, le village était bel et bien encerclé et, arrivés au seuil de notre maison, nous eûmes la désagréable surprise d’être arrêtés, puis emmenés le long d’un chemin où se trouvaient déjà sept de nos voisins, arrêtés eux aussi. Cinq d’entre eux avaient le visage couvert de sang ; on les avait battus pour les faire parler, mais sans succès. Les bourreaux n’avaient rien pu tirer d’eux. Pendant qu’une équipe nous gardait, une autre équipe pillait le village. On entendait, de tous côtés, des coups de feu. C’étaient les Bandits d’Hitler qui tuaient à coups de fusil et de mitraillette, poules, lapins, porcs ; d’autres dévalisaient les maisons. Tout leur était bon : draps, linges de corps, « jusqu’aux vêtements d’un bébé de trois ans ». On a évalué à près d’un million de francs le total des vols commis de la sorte en numéraires et en objets. Leur besogne achevée, les camions chargés, les sauvages nazis se rassemblèrent au centre du village. Là, un officier me libéra ainsi que quatre de mes camarades. Quelques minutes après, on entendait le bruit d’une rafale : c’était les autres qu’on fusillait, tandis que les lueurs sinistres de l’incendie s’élevaient vers le ciel ; puis, on entendit le vrombissement des moteurs : les Assassins s’en allaient. Ensuite ce fut le silence, un silence de mort, d’instant en instant interrompu par l’écroulement des charpentes consumées. Les barbares avaient incendié la maison et les bâtiments de Mme Veuve Tremoulinas. Au matin, on découvrit le cadavre de son fils Raoul, âgé de 19 ans, criblé de balles et égorgé. A côté de lui, six autres corps, presque tous achevés de la même façon, « après la fusillade, l’égorgement ». Certains portaient une entaille qui, partant de l’oreille, atteignait l’épaule et une autre formant croix avec la première .Un sadique avait signé son « travail ». On découvrit encore un mort dans le jardin, un autre (Tarzan) dans un champ de blé, un troisième dans le bois tout proche. Dix tués, en tout. Dix innocents massacrés avec férocité, dont six maquis et quatre civils. L’un d’eux était père de cinq enfants. Ces dix innocents n’avaient commis d’autre crime que le rêve de libérer leur patrie. Le petit Raoul Tremoulinas revenait de son travail, de même Boulanger, père de cinq enfants, rentrait des champs. Cholet François, lui, venait de prendre son tour de garde sur la voie, à Thiviers ; de même, Magnes Pierre, qui rentrait de son travail. Tous ont été assassinés sans aucune explication, sans interrogatoire. A la manière des « Fascistes ». Et ces macaques de Boches osent se croire la plus belle armée du monde ? Ce ne sont pas des soldats… Ce sont des Assassins !!! »
Ce jour-là, en effet, vers 18 heures, environ trois cents hommes (soldats allemands du 95ème régiment de sécurité, miliciens et membres de la phalange nord-africaine) font irruption dans le village des Merles, commune de Saint-Martin-de-Fressengeas, où stationne le détachement Ruffino, devenu la 225ème compagnie F.T.P. La localité cernée, l’occupant arrête tous les hommes, les enferme dans un jardin où il les oblige à s’allonger sur le ventre. Les maisons sont fouillées et pillées. Deux jeunes, présents dans le fournil du boulanger, sont capturés avant d’être conduits au camp du maquis. La plupart des Francs-Tireurs peuvent néanmoins s’échapper, tout en ripostant.
Ce récit, écrit à chaud peu de temps après les faits et que nous avons cité intégralement, nous rappelle que ce qui s’est passé en ces lieux se situe à l’apogée de l’horreur criminelle.
Le rapport du 27 décembre 1944 traitant des atrocités commises dans le département de la Dordogne par les troupes d’occupation et leurs auxiliaires durant la période comprise entre le 11 novembre 1942 et le 19 août 1944 établit que «au cours des perquisitions, deux réfractaires occupés à faire cuire le pain de leur groupe sont surpris dans le fournil de M. Barret Pierre. Ils sont interrogés, frappés. L’un d’eux conduit les Allemands au cantonnement du groupe qui, prévenu à temps, a pu fuir. L’indicateur est abattu sur place. Il s’identifie avec MOREAU Gilbert né le 19 Avril 1925 à Berneuil (Charente). L’acte de décès établi le 1er mai 1944 à 10 h 30, parle d’un « individu de sexe masculin dont l’identité n’a pu être établie » dont le signalement est le suivant : « Age approximatif : 22 ans ; porteur d’une carte d’identité au nom de Gilbert Moreau, né le 19 avril 1925 à Berneuil (Charente) ». La mention en marge confirme qu’il s’agit bien de « Yves Gilbert MOREAU, né le 19 avril 1926 à Berneuil (Charente), fils de Abel Moreau et de Valérie Bureau » et qu’il est «mort pour la France ». Il est précisé, ce qui confirme les dires de Florindo Téseï, que « durant cette opération, une certaine partie des hommes arrêtés ont été libérés et invités à rentrer chez eux pour ne plus en sortir avant le départ des troupes » et, ajoute-t-on, « deux autres maquisards qui se rendaient à Saint-Martin sont surpris par les Allemands et essayent de fuir. L’un d’eux est tué […] l’autre a réussi à s’enfuir.» La personne abattue était, selon le rapport, « Couffino, sujet espagnol dont la mère est domiciliée à Limoges ». Cet individu dont l’identité, dans un premier temps, n’avait pu être établie, si l’on s’en reporte à l’acte de décès établi le 1er mai 1944 à 10 h 30, avait le signalement suivant : « 1 m 75 ; châtain foncé ; mince corpulence ; pourrait être un Espagnol ». Aujourd’hui, en marge, on trouve les mentions : « Manuel RUFFINO, né le 13 juillet 1924 à Anguita (Espagne), fils de Jean Ruffino, décédé et de Bermejo Anicetta » et « mort pour la France ». On y apprend aussi que « François Cholet, domicilié aux « Merles », qui revient de prendre la garde sur la voie ferrée Périgueux-Limoges, essaye de rentrer à son domicile en se cachant. Il est aperçu et abattu dans son jardin ». Son acte de décès, dressé le 29 avril 1944 à 20 h 30, nous apprend qu’il était « né à Saint-Martin-de-Fressengeas, le 18 octobre 1914, cultivateur, fils de Pierre Cholet, décédé et de Henriette Mauroux, époux de Marguerite Raynaud » et qu’il est « mort pour la France ». Selon les auteurs du rapport, « à leur retour du camp du maquis, les Allemands, furieux, emmènent 7 hommes qui sont encore prisonniers, les autres ayant été libérés comme il a été dit plus haut, dans une petite cour, les font coucher et les fusillent dans le dos ». Il s’agit de : Jean Billat, « né à Saint-Martin-de-Fressengeas, le 8 juin 1923, cultivateur, domicilié à Mur, commune de Thiviers (Dordogne), fils de Pierre Billat et de Catherine Hivert, décédée, célibataire », qui appartenait à un groupe de maquis et qui avait été arrêté en route par la colonne ; Raoul Tremoulinas, « né à Saint-Martin-de-Fressengeas, le 5 février 1925, cultivateur, fils de Louis Tremoulinas, décédé et de Anne Barret, célibataire ». La maison de sa mère, qui était également propriétaire de celle où des jeunes avaient été surpris en train de faire cuire le pain, a été pillée et incendiée ; Pierre Boulanger, « né à Saint-Martin-de-Fressengeas, le 20 octobre 1896, cultivateur, domicilié à Pauthier, commune présente, fils de Pierre Boulanger et de Anne Rebeyrol, décédés, époux de Adrienne Lagarde »,avait été arrêté, alors qu’il venait de labourer et était en train de dételer ses bœufs ; Pierre Magnesse, « né à Mialet (Dordogne), le 30 avril 1912, cultivateur, fils de Jean Magnesse et de Anne Laforge, son épouse, célibataire » qui était venu rendre visite à ses parents ; Marcel Martin, dont l’identité n’avait pu être établie lors de l’établissement de l’acte de décès et qui répondait au signalement suivant : « Age approximatif : 22 ans ; taille : 1 m 63 ; cheveux châtains clairs ; figure rasée ; deux dents de devant manquent à la mâchoire supérieure ; grosses chaussures » était membre d’un groupe de résistance. La mention en marge de l’acte de décès nous apprend qu’il est le « fils de Pierre et de Cournil Louise » et qu’il est « né à Salagnac le 21-1-1924 » ; Marc Combeau, dont l’identité n’avait pu être établie lors de l’établissement de l’acte de décès et qui répondait au signalement suivant : « Age approximatif : 22 ans ; taille : 1 m 70 ; cheveux châtains ; favoris : forte corpulence ; chandail brique ; foulard grenat à petits pois blancs ; veste neuve kaki : pantalon gros drap gris »,appartenait à un groupe de maquis. La mention en marge de l’acte de décès nous apprend qu’il est « né le 28 août 1923 à Vouharte (Charente), fils de Adonis Combaud et de Jeanne Bonaventure » ; André Videau, « né à Sarrazac (Dordogne), le 16 juillet 1924, charpentier, domicilié à Sarrazac (Dordogne), fils de Jean Videau, décédé et de Zélie Marie Viridaud, célibataire », appartenait également à un groupe de résistance. Ces sept victimes de la barbarie de l’occupant et de ses valets français sont toutes « mortes pour la France ». Une divergence apparaît entre le récit de Florindo Téseï et le rapport, ci-dessus mentionné, qui stipule que « les cadavres portent seulement des traces de balles » et « ne semblent pas avoir été maltraités ».
Toujours est-il que les horreurs commises par les nazis, soixante dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, hantent encore le XXIe siècle et que cela invite les historiens, mais aussi les passants, à analyser, loin de toute émotion, une question centrale : comment l’humain est-il capable de basculer dans l’horreur ? « La guerre est un « acte culturel » », écrit Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’EHESS, spécialiste de la Première guerre mondiale, dans La Violence de guerre 1914-1945 et « les manières de s’emparer des corps, de les tordre, de les découper, constituent, selon Jacques Sémelin dans Purifier et détruire, des actes culturels à part entière, à travers lesquels l’exécutant exprime quelque chose de sa propre identité ».

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