Rue du Sergent Bonnelie

A.N.A.C.R. Dordogne

Rendons-nous sur la rive gauche de l’Isle à Périgueux, dans le quartier de Saint-Georges. Rejoignons l’artère qui commence Cours Saint-Georges pour se terminer rue Pierre Magne et qui portait, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’appellation de Rue du Pontet. Elle porte aujourd’hui le nom de rue Sergent Bonnelie, un Périgourdin peu connu du grand public.
Né à Périgueux le 28 décembre 1913, Jean Bonnelie se trouvait en Algérie lors du débarquement allié (8 novembre 1942) et, bien que dégagé de toute obligation militaire, il s’engagea dans le Corps des Parachutistes de Staoueli. Le 1er BPC (Bataillon Parachutistes de Choc ou 1er Choc) a en effet été créé le 25 mai 1943 à Staoueli par le chef de bataillon Gambiez.
Le 12 septembre 1943, 109 commandos de la 3e compagnie de cette unité d’élite de l’armée de terre française sont déposés en précurseurs près d’Ajaccio, par le sous-marin Casabianca (resté célèbre pour s’être échappé, sous les ordres du capitaine de frégate Jean L’Herminier, de Toulon, lors du sabordage de la flotte, le 27 novembre 1942, afin de poursuivre le combat aux côtés des Alliés, en Afrique du Nord). Le lendemain, c’est tout le Bataillon qui débarque à Ajaccio. Jean Bonnelie est de ceux-là.
C’est au cours des opérations qui préludèrent à la libération de l’île que le sergent Jean Bonnelie trouva la mort.
Le Front National (Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, créé en 1941), à l’annonce de la capitulation italienne, appelle à l’insurrection, le 9 septembre 1943. Acte non voulu par les Alliés et les Français à Alger qui privilégient le débarquement en Italie, il entraîne, une fois la nouvelle de l’insurrection connue, l’envoi de l’équivalent d’une division des troupes françaises pour aider les insurgés. Cette insurrection fut un acte audacieux mais bien pensé puisqu’il avait misé sur le concours de l’armée italienne, au pire sur sa neutralité, dans le combat contre les troupes allemandes : celles présentes dans l’île durant l’été 1943 et celles de passage qui traversent la Corse pour rejoindre l’Italie continentale depuis la Sardaigne, soit à peu près 30.000 hommes.
Le général Gambier, dans l’ouvrage Libération de la Corse, (Collection La libération de la France, sous la direction d’Henri Michel, Hachette, 1973) évoque l’attaque de la centrale hydroélectrique appartenant à la société anonyme FORTEF (Forces et Terres du Fiumorbo) et construite à Agnatello sur le territoire de la commune de Prunelli-di-Fiumorbo, par le lieutenant Lamy et le sous-lieutenant Arguillière, le 25 septembre 1943.
« Au matin, écrit-il, des renseignements parviennent au lieutenant Arguillière indiquant que l’usine de la F.O.R.T.E.F. est occupée par des pionniers allemands qui réparent les camions et préparent des destructions. Ils seraient assez peu gardés et au nombre d’une trentaine. L’approche de l’usine est aisée par le maquis qui offre des observatoires merveilleux sur l’usine. »
Raymond Muelle, dans son livre Premier bataillon de choc (Presses de la Cité, 1977) raconte par le détail l’opération :
« Bonnelie, tu places tes armes automatiques en lisière de maquis, tu domineras l’usine. Tritsch, tu prendras en enfilade la route d’accès aux bâtiments, Cerruti, avec ton équipe, neutralisation de la cour, dès les premiers coups de feu; vu? Le reste du détachement, avec le lieutenant Arguillère et moi, nous contournerons le barrage et prendrons le dispositif allemand à revers. Avec un peu de chance, les Allemands devraient être capturés sans combat. »
A 14 heures. le lieutenant Lamy donne le signal de l’attaque, attaque silencieuse, en souplesse. « Mais, ajoute-t-il, à la guerre, rien ne se passe comme prévu. Le groupe d’assaut est à peine en place sur ses positions que la sentinelle du mirador repère les Chocs du groupe Cerruti. Elle est abattue d’une rafale de FM, son corps reste accroché à la charpente, et l’effet de surprise est raté. Il faut attaquer. Chaque équipe connaît son objectif […] Rapidement, les Allemands sont submergés, il y a des corps allongés un peu partout, morts ou blessés. Quelques Allemands se sont enfuis vers la plaine. Ils vont sans doute revenir avec des renforts. »
Le détachement est regroupé, les prisonniers rassemblés. Le groupe destruction s’occupe des sabotages. Au bout d’une heure, tout est terminé. Le bref compte rendu que le lieutenant Lamy adresse par téléphone à Prunelli, la base opérationnelle, se passe de commentaires : « Pas de pertes chez nous, succès partout… » Cependant, l’ennemi, avec deux automitrailleuses et trois camions de troupes, contrattaque et le groupe doit décrocher.
« Mais, souligne le général Gambiez, il y a le groupe Tritsch, grâce auquel le repli s’est effectué normalement, qui a disparu dans le maquis. Comme je manque de pistolets signaleurs, je n’ai pu lui indiquer le repli. Arguillière et moi sommes très inquiets. Mais, à ce moment, j’entends le teuf-teuf de la Hotchkiss et j’espère qu’il pourra se dégager. J’ai le plaisir, cinq minutes après, de voir Tritsch et son groupe monter. Mais il se tient le bras gauche, percé de trois balles, et pleure la mort du sergent Bonnelie, mitraillé à bout portant alors qu’il lançait une grenade. »
La délibération du conseil municipal fait état d’une lettre émouvante écrite par sa mère dans laquelle elle retrace la rapide et glorieuse carrière du sergent Bonnelie à qui a été décernée à titre posthume la Médaille Militaire à la suite d’une glorieuse citation du général d’Armée commandant en chef. Nous n’avons pu hélas retrouver à ce jour ce précieux document.
La libération de la Corse coûte la vie à plus de deux mille deux cents personnes, parmi lesquelles 87 militaires venus d’Alger dont Jean Bonnelie qui n’avait pas encore 30 ans et 172 patriotes corses.
Leur sacrifice n’est pas vain puisque, comme l’a déclaré le général de Gaulle, le 8 octobre 1943 à Ajaccio, « la Corse a la fortune et l’honneur d’être le premier morceau libéré de la France », huit mois avant le débarquement allié de Normandie du 6 juin 1944.
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