Plaque

A.N.A.C.R. Dordogne

…Rendons-nous dans cette sous-préfecture du département de la Dordogne, inscrite dans un triangle d’or entre Dordogne et Vézère qui l’enserrent comme un delta, dans cette ville d’art et d’histoire qu’on présente comme la capitale du Périgord noir et incontestablement comme l’une des plus belles villes de France, Sarlat-la-Canéda
Rendons-nous au n°11 du boulevard qui, jadis portait le nom d’un maréchal d’Empire, Michel Ney et qui, aujourd’hui, porte le nom de celui qui fut « l’âme et l’organisateur » de l’Armée Secrète du secteur du Sarladais, Victor Nessmann. pour découvrir une plaque rappelant les faits qui se sont déroulés en ce lieu le 21 décembre 1943.
Né citoyen allemand, à Strasbourg, le 17 septembre 1900, fils unique de Victor, pasteur et de Jeanne Frick, Victor Nessmann, est « réintégré » dans la nationalité française en 1918 et, après de brillantes études de médecine à l’Université de Strasbourg, choisit d’abord la médecine des pauvres, celle de l’Afrique déshéritée et rejoint, en octobre 1924, à Lambaréné, au Gabon, son compatriote le docteur Schweitzer dont il devient le premier assistant. En mars 1926, après dix-huit mois en Afrique, le jeune docteur décide de rentrer en France pour s’acquitter de ses obligations militaires et achever ses études. Le 13 juillet 1927, après un trimestre à l’Institut de médecine coloniale et tropicale de Paris, il soutient une thèse de doctorat, publiée sous le titre « Voies d’accès aux carrières médicales coloniales ». Sa spécialité de chirurgien terminée, il a l’occasion, en 1930, au cours de stages à Berlin et Tubingen ou encore à Vienne, de sentir déjà la montée du nationalisme allemand. « Assistant des hôpitaux à Mulhouse, écrit son fils Jean-Daniel Nessmann, La cassure 1939-1945il fait, en 1932, la connaissance d’une jeune infirmière. Ils se marient la même année et s’installent à Strasbourg où mon père ouvre un cabinet médical dans la vieille maison familiale de la rue Sainte-Aurélie, proche du Faubourg National ».
Mobilisé le 26 août 1939 à Sarrebourg où se trouve un important centre hospitalier militaire, comme médecin-capitaine, Victor Nessmann y passe la « drôle de guerre » jusqu’au 14 juin 1940, avant de rejoindre son unité repliée à Moulins, puis à Périgueux, le 17 juin. Là, nommé à la direction de quatre antennes médicales installées dans l’école professionnelle, il est chargé d’organiser un hôpital de secours de 130 lits pour accueillir les blessés de la débâcle. Il retrouve son épouse, Georgette Walther et ses quatre enfants qui ont fui l’Alsace et le rejoignent le 4 juillet 1940.
Démobilisé fin août, il prend, en accord avec son épouse, la décision de ne pas rentrer en Alsace annexée et s’installe à Sarlat le 25 septembre 1940. « A Sarlat, écrit son épouse, la maison du boulevard Ney où nous débarquons est vide de ses réfugiés alsaciens mais nous sommes accueillis par la responsable du groupe qui nous donne un coup de main pour notre installation ». Dès son arrivée, Victor prend contact avec les médecins de Sarlat et des environs et se présente à l’hôpital de la ville tenu par des religieuses qui l’accueillent chaleureusement. Victor s’attache à réformer l’hôpital, modernisant en particulier l’antenne chirurgicale.
Edmond Michelet a fait du docteur Louis Christiaens, un réfugié comme lui, descendu du Nord et qui s’est établi près de Salignac, l’antenne du réseau Combat pour le Périgord. Celui-ci fait de Victor Nessmann l’animateur de la Résistance pour le Sarladais. Avec son infirmière, Mme Lebon, associée à son action, il ne néglige aucun effort pour apporter ses soins aux premiers maquisards et à tous ceux qui, menacés du fait de leurs origines ou de leurs activités, ont besoin de son intervention discrète. Selon André Roulland, auteur de Résistance en Périgord Noir, « sa personnalité rayon­nante, sa situation privilégiée au contact du public pour qui le médecin est un peu le confesseur, son approche clairvoyante des hommes, lui permirent en peu de temps de jeter les bases de ce qui deviendrait le contingent local de l’armée secrète. » Il prend la succession à la tête du mouvement de l’Armée Secrète du secteur de Sarlat du docteur Louis Christiaens, rappelé, à l’été 1942, par la faculté de Lille.
Evoquant l’année 1943, Jean-Daniel Nessmann écrit : « La résistance s’organise mais l’occupation allemande et la répression sont de plus en plus oppressantes. Suite à une dénonciation, le réseau Combat de Sarlat où mon père a de grandes responsabilités est en partie démantelé. L’inquiétude grandit » et d’ajouter : « Dans la famille, l’automne est marqué par la naissance du sixième enfant, ce qui, en cette période de guerre, est presque une gageure ».
A l’approche de Noël, c’est le drame. Le 21 décembre 1943, Victor Nessmann, dénoncé, est interpellé au cours de sa consultation médicale par l’équipe du SD de Limoges. Conduit à Bergerac, à la caserne Chanzy, transféré à Périgueux, puis à Limoges, on perd sa trace. « L’été passe, remarque Georgette. Un nouveau Noël approche, plus triste encore que le précédent. Je suis toujours sans nouvelles de Victor mais je conserve l’espoir qu’il ait été déporté et qu’il reviendra ».
Dès janvier 1945, sa famille se met en quête de nouvelles mais ces dernières ne sont pas bonnes : on leur dit que le docteur est mort. Avec le retour des premiers déportés de Buchenwald, tous les renseignements confirment la réalité : « Mon père, note Jean-Daniel Nessmann, est mort à Limoges deux semaines après son arrestation ». Cette nouvelle est difficile à accepter Dans une lettre à une amie, son épouse écrit le 30 mai 1945 : « Il n’y a pas de doute, bien que je me raccroche désespérément à tout ce que mon imagination forge comme hypothèse. Pourtant, tous les camarades de Victor à Limoges sont formels. C’est là qu’il est resté. Il n’a pas été plus loin ».
Pendant ce temps, la quête des témoignages se poursuit. Celui de Jean Lacroix, chef de la brigade de gendarmerie de Beaumont-du-Périgord, est intéressant. Recueilli par la gendarmerie vers le 15 août 1945, à l’hôpital de Bergerac où leur collègue, de retour de déportation, est en traitement, le maréchal‑des-logis‑chef, compagnon de cellule du docteur, raconte : « le 27 du même mois [décembre], je fus extrait de ma cellule pour être conduit Impasse Tivoli pour interrogatoire Ramené à la prison, comme je n’avais pas voulu m’expliquer malgré les tortures, je fus séparé du Docteur Nessmann et, le 4 janvier 1944, ce dernier fut également conduit Impasse Tivoli pour interrogatoire. Le soir ayant été remis dans la cellule commune, vers 18 heures, un caporal-chef, originaire de Leipzig, causant un peu le français, vint demander la valise du Docteur. Je lui demandais alors si notre camarade était libéré. Il me fit la réponse suivante : « Non, Gestapo a tué camarade Docteur. Docteur Kaput ». Joseph Meyer, adjoint avec René Olh, du célèbre lieutenant-colonel August Meier, chef de la Gestapo de Limoges, est semble‑t‑il, notamment, responsable de la mort du Docteur Nessmann.
Désormais, la famille doit se rendre à l’évidence. Un autre témoignage, celui de Fernand Baumgarten, recueilli par Jean-Daniel Nessmann 52 ans après les faits, est essentiel car il nous renseigne sur les derniers instants du docteur Nessmann. Interrogé sous la torture par la Gestapo, Fernand est mis au secret dans la cellule 37 au premier étage de la prison. « C’est là, rapporte Jean-Daniel, que le 3 janvier au soir, le corps désarticulé, couvert de plaies et d’ecchymoses, mais en vie de mon père est déposé après un interrogatoire. Mon père venait d’être atrocement et de la pire des manières torturé par la Gestapo au sinistre Hôtel Tivoli et son silence avait contribué à exciter la haine de ses bourreaux. Fernand Baumgarten et mon père passèrent la nuit à parler le leur vie, de leur famille. Diagnostiquant une hémorragie interne, mon père n’avait guère d’illusion sur ses chances de survie. Le lendemain matin 4 janvier, vers 9 heures, malgré les véhémentes protestations de son compagnon de cellule, la Gestapo vint rechercher mon père pour un nouvel interrogatoire. Ne pouvant plus marcher, mon père est traîné hors de sa cellule et transporté impasse Tivoli. Ramené dans sa cellule après 19 heures, il est déposé sur sa couche, gémissant doucement de douleur sans se plaindre, la colonne vertébrale brisée, les jambes paralysées, les reins éclatés. Le froid de la mort envahit lentement son corps. Son compagnon de cellule demande alors un médecin. Le caporal allemand de garde dit que c’est impossible mais cherche deux briques chaudes pour atténuer le froid qui envahit son corps. Fernand Baumgarten insiste sur ce geste de compassion qui, dans cet univers d’horreur, prit une dimension d’humanité hors du commun. La mort approche. Soudain, dans un sursaut extraordinaire, mon père dit à son compagnon: « Regardez là, sur le mur, cette lumière ». Son compagnon a beau regarder, il ne voit rien. Il prend alors dans ses bras mon père qui expire peu après. Dans la nuit, ses bourreaux sont venus chercher le corps afin le faire disparaître toute trace de leur forfait ».
Mais l’absence de corps a toujours un caractère traumatisant et des recherches sont effectuées pour retrouver le lieu de sa sépulture. Toutes inutiles.
« Nous sommes rentrés en Alsace, rapporte Jean-Daniel Nessmann. Mais la Terre Promise n’était que dans nos rêves et la Victoire de la France avait pour nous un goût amer. […] Pour assurer le quotidien, ma mère eut à batailler sur, parfois dans la misère Il lui fallut quatre années d’humiliantes démarches pour que soient reconnus =, enfin, son droit à une pension de Veuve de Guerre et notre titre de Pupille de la Nation »
Le 14 juillet 1947, sur la place de la République à Strasbourg, trois décorations à titre posthume à son fils, Jean-Daniel Nessmann, alors âgé de 13 ans : « Après le roulement du tambour, un immense silence s’abattit sur la place et un énorme général roux s’approcha gentiment près de moi. Il prit successivement sur un coussinet qu’on lui présenta trois décorations et me les planta dans la poitrine. Je sursautais sous l’effet de la piqûre et reçus en récompense une accolade chaleureuse. Le roulement du tambour accompagnait chaque remise de décoration. Puis la cérémonie prit fin et nous sommes rentrés à la maison, les trois décorations pendant sur ma poitrine trop étroite. Ces décorations n’étaient pas miennes. Je devrai cependant en porter le souvenir et le poids ma vie durant. Elles étaient le symbole, le signe visible de la cassure invisible qu’avait subi toute la famille pendant la guerre ».
Victor Nessmann, commandant des ex-forces des FFI de la 12e Région, est promu, le 4 février 1946, au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume : « Médecin-Capitaine, résistant de la première heure a mis au service du Mouvement Combat puis de l’AS (Armée Secrète) ses splendides qualités de Chef, d’entraîneur d’hommes ainsi que tout le poids de sa renommée de chirurgien distingué et aimé de tous. Fut l’âme de la Résistance dans la région de Sarlat, d’une activité et d’un dévouement cités en exemple, grâce auxquels plus tard de grands résultats furent obtenus. Bien que se sentant sérieusement menacé, il n’en continua pas moins son travail d’organisation. Dénoncé, est arrêté par la Gestapo, a fait preuve d’un héroïque courage à l’interrogatoire et est mort quelques heures plus tard des suites des tortures subies ». Cette promotion et nomination comportent l’attribution de la Croix de Guerre avec Palme. Par décret du 24 avril 1946, il se voit décerner à titre posthume la médaille de la Résistance Française avec Rosette.
Aujourd’hui, outre la plaque apposée au 11 Boulevard Victor Nessmann à Sarlat, le nom de ce père « mort en héros » est gravé sur le Monument aux Héros, aux Martyrs de la libération de l’arrondissement de Sarlat (1940-1945, sis place du 8 mai 1945 ainsi qu’à Brive-la-Gaillarde, sur la plaque apposée sur la maison d’Edmond Michelet et a été donné une artère dans les villes de Sarlat-la-Canéda et de Strasbourg.
« Les héros n’ont pas besoin de tombe, souligne André Roulland dans son ouvrage Résistance en Périgord NoirPlus précieux que leurs restes mortels survit le souvenir dans les esprits et dans les cœurs et c’est à leur image qu’aux heures décisives s’accroche le courage des hommes. »
A lire : Jean‑Daniel NESSMANN, La cassure 1939-1945, Edition du Rhin, Mulhouse, 1997 / De la Résistance au martyre 1940-1944, Saint-Paul S.A 55000 Bar-le-Duc, 1998
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