En ce neuvième soir du couvre-feu nouveau, rendons-nous dans le nord-est du département de la Dordogne, au confluent de la Corrèze, de la Dordogne et de la Haute vienne, dans ce joli village du Périgord vert, perché sur les hauteurs et dominant la rivière Auvézère, Payzac.
Arrêtons-nous sur la place qui porte son nom et où, près de la médiathèque intercommunale de Payzac, une plaque de marbre rappelle qu’un des martyrs de la Résistance, qu’un des 27 détenus fusillés à Châteaubriant, dans la carrière de la Sablière, en représailles d’un attentat mené par un commando de l’Organisation Spéciale (structure clandestine au sein du Parti communiste français au cours de la période 1940-1944) contre le commandant des troupes d’occupation de la Loire-Inférieure, Fritz Holtz, est un enfant du pays, Jean-Pierre Timbaud.
Sa commune natale lui a rendu hommage en donnant son nom à l’une de ses places et en organisant, en septembre 2011, à l’occasion du 70ème anniversaire de son exécution, un hommage solidaire en présence de sa fille, Jacqueline et de Jean-François Caré, responsable de l’Institut d’histoire sociale (IHS) de la CGT Métallos, venus spécialement de P, aris à l’invitation de la municipalité.
Pour présenter cet homme méconnu des Périgourdins, nous empruntons le texte qui suit au site de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt qui a pour mission de transmettre le souvenir des événements d’octobre 1941 et la mémoire de ceux qui furent extraits du camp et fusillés à la Sablière, en forêt de la Blisière ou au terrain du Bêle à Nantes.
« Né en 1904 à Payzac en Dordogne, fils d’un père représentant en papier pour viande de boucherie et d’une mère ouvrière à domicile, Jean-Pierre fut élevé dans son village natal par sa grand-mère paternelle jusqu’à l’âge de 8 ans. Il grandit ensuite à Paris dans le XIe jusqu’à la première guerre mondiale. Son père étant mobilisé dans l’infanterie, sa mère revient avec ses 4 enfants à Payzac. En l’absence des hommes il participe aux travaux de la ferme et ne sera presque jamais scolarisé. Deux ans plus tard, il rejoint son père, affecté spécial pour la fabrication de matériel de guerre, à Decazeville. Il commence son apprentissage de fondeur. Après la guerre, toute la famille revient à Paris et Jean-Pierre poursuit sa formation professionnelle dans plusieurs fonderies du XIème arrondissement et dans des petites fonderies du Marais. En 1922, il adhère aux jeunesses communistes. En novembre 1923, il est appelé pour son service militaire au 25ème régiment d’infanterie à Nancy. Durant cette période, il participe à la campagne contre la guerre du Maroc. De retour à la vie civile, il reprend son métier dans le Marais et devient très vite un militant syndical. Il embauche chez Antoine Rudier, un fondeur d’art du XVème arrondissement qui avait pour clients Maillol, Renoir, Rodin ou Bourdelle. Connu des autres fondeurs pour son activité syndicale, il est élu délégué de sa section syndicale. Il était également secrétaire-adjoint de la cellule rattachée au 6ème rayon du Parti communiste. Il se marie en 1927 avec Pauline, une mécanicienne en chaussures. En 1928, il est chargé de renforcer l’action des militants syndiqués de Citroën. En 1930, il est membre de la Commission exécutive de l’Union syndicale CGTU des travailleurs de la Métallurgie de la Région parisienne. En 1931, il est l’un des secrétaires du syndicat unitaire des métallurgistes parisiens. Ayant suivi la même année une école centrale du PC, il est présenté aux élections législatives de 1932 dans le XVème arrondissement. Il obtient 21,2% des voix au premier tour et 34,2% au second par rapport aux inscrits. En mars 1933, il fit preuve de ses talents d’organisateur et d’orateur en dirigeant une grève aux usines Citroën qui allait durer 35 jours. Profitant du mécontentement d’un atelier devant les diminutions de salaire de 18 à 20% annoncées par la direction, il impulsa la grève qui s’étendit bientôt d’atelier en atelier, de chaîne de montage en chaîne de montage, incitant les ouvriers à désigner leurs délégués et à former un comité de grève pour faire face au lock-out. L’enjeu était de taille puisqu’il s’agissait d’entraîner les 18 000 salariés des différentes usines dans la lutte. Le comité de grève composé de 180 membres dirigea l’action jusqu’à ce que la direction consente à ne diminuer les salaires que de 9 à 10% et à lever les sanctions pour faits de grève. Ce fut un succès incontestable pour la dynamique syndicale (de 100 on était passé à 1400 syndiqués).
En 1934, J-P Timbaud se retrouva cantonnier à Gennevilliers (Seine), ville dont Jean Grandel était le maire. Il anima le comité de chômeurs de Gennevilliers et fut le directeur de la colonie de vacances de cette ville à Granville (Manche). Il devint responsable intersyndical de la zone comprenant Asnières, Gennevilliers, Levallois, Clichy et Colombes. En mars 1936, il est réélu membre de la commission exécutive fédérale de la Fédération réunifiée des Métaux. Aux côtés d’Alfred Costes, il met tout en oeuvre pour que son syndicat joue son rôle au moment des occupations d’usines de mai-juin 1936 et des bouleversements du Front Populaire. En 1937, il fait partie d’une délégation de métallurgistes parisiens qui se rend en Espagne républicaine pour porter des fonds recueillis dans le XIe arrondissement. En 1938, lors du congrès fédéral, il est réélu et devient également membre du bureau du conseil d’administration de la Mutuelle du métallurgiste qui vient d’être créée.
Mobilisé dès le début de la Seconde Guerre mondiale au camp de Mourmelon, chauffeur d’un colonel, puis replié dans la Haute-Vienne, il rentre illégalement à Paris où il rejoint Eugène Hénaff. Chargé de la constitution des comités syndicaux clandestins et de la diffusion de la « Vie ouvrière », il est arrêté le 18 octobre 1940 lors de la grande opération policière organisée par la police de Pétain. Interné d’abord à Aincourt (Seine et Oise) il est transféré en décembre à la centrale de Fontevrault, en janvier 1941 à celle de Clairvaux (Aube) et le 14 mai suivant à Châteaubriant.
Au camp de Châteaubriant, il est membre de la direction politique des internés, en liaison avec la direction du camp. Il est fusillé avec 26 autres détenus le 22 octobre 1941.Jovial, exigeant et doué, d’un réel talent d’orateur, il incarna longtemps le métallurgiste parisien qui consacra sa vie à servir un idéal révolutionnaire. Ses derniers mots « Vive le Parti communiste allemand ! » qu’il aurait crié avant de tomber en firent une grande figure de la Résistance communiste.
Paris honora sa mémoire en donnant son nom à la rue d’Angoulême. De nombreuses villes de France mais aussi Berlin-Est (jusqu’à la chute du mur) tinrent à dénommer une de leur voie : rue Jean-Pierre Timbaud. En 2007, à Saint-Aubin des Châteaux fut inaugurée une école en présence de sa fille Jacqueline. »
Il est à rappeler que le choix des otages est laissé à la discrétion du gouvernement de Vichy. Sur la liste de cent détenus présentée par les Allemands au ministre de l’intérieur Pierre Pucheu, les noms de cinquante personnes sont retenus, essentiellement des communistes : Auffret Jules, 39 ans / Barthelemy Henri, 58 ans / Bartoli Titus, 58 ans / Bastard Maximilien, 21 ans / Bourhis Marc, 44 ans / David Emile, 19 ans / Delavacquerie Charles, 19 ans / Gardette Maurice, 49 ans / Grandel Jean, 50 ans / Granet Désiré, 37 ans / Gueguin Pierre, 45 ans / Houynk Kuong, 29 ans / Kerivel Eugène, 50 ans / Laforge Raymond, 43 ans / Lalet Claude, 21 ans / Lefevre Edmond, 38 ans / Le Panse Julien, 34 ans / Michels Charles, 38 ans / Môquet Guy, 17 ans / Pesque Antoine, 55 ans / Poulmarc’h Jean, 31 ans / Pourchasse Henri, 34 ans / Rennelle Victor, 53 ans / Tellier Raymond, 44 ans / Tenine Maurice, 34 ans / Timbaud Jean-Pierre, 31 ans / Vercruysse Jules, 48 ans.
Dans son ouvrage, 50 otages – Mémoire sensible, Etienne Gasche, professeur d’histoire-géographie en Loire-Atlantique, rapporte le témoignage de sa fille, Jacqueline. Alors âgée de 13 ans, elle vivait à Paris avec sa mère : « Le 22 octobre 41, ma mère m’avait dit : « Tu vois ; on a tué un allemand à Nantes et j’ai bien peur qu’ils viennent prendre des otages à Châteaubriant mais si tu reçois une lettre …(parce que ma mère avait pensé que c’était le 20 octobre qu’on aurait tué tout de suite des otages)… si tu reçois une lettre de ton père ça voudra dire qu’il est encore vivant que ce n’est pas pour cette fois-ci… ». Donc le jeudi 23 octobre ma mère est partie chercher son pain… Elle voit que le boulanger lui parle peu et elle ne comprend pas…. Puis elle va travailler en marchant jusqu’au métro « Pyrénées » ; elle arrive et elle voit ses collègues faire la tête. Elle s’interroge un peu… Moi j’étais à la piscine. J’arrive à la maison avant maman. Je vois le courrier… Une lettre de mon père : toute heureuse je me mets à chanter ! L’amie d’enfance de ma mère m’entendant chanter vient en pensant « Jacqueline ne sait rien ! » Elle part sans rien me dire. Maman arrive. On mange. Soudain on frappe à la porte et on voit la femme de Jean Billet également interné à Choisel qui habitait à côté de chez nous … Elle arrive en pleurs …
– Jean vous savez pas ! », parce que mon père on l’appelait aussi Jean … (comprenait pas …)
– Jean, qu’est-ce qu’il y a ? Il est malade ?
– Vous savez pas ?
– Non quoi ?
– … ils l’ont fusillé !
– Ben… qui ? Ils ont fusillé qui ?
– Ben… ton mari qu’elle dit à maman !
Alors là on a été complètement… tout le monde le savait… personne n’avait eu la force de nous le dire… Après on a été directement chez la femme de Charles Michels ; on a pu parler ensemble de nos morts… et c’est comme ça que nous avons appris la mort de mon père. Le ministère ne nous a averties qu’au bout d’un mois et demi… »
Dans la brochure publié par le Secrétariat Général pour l’Administration / Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, dans le n°20, de la collection Mémoire et Citoyenneté, on peut lire : « Le lendemain, les Allemands dispersent les vingt-sept corps dans neuf cimetières des environs. Le dimanche suivant, malgré les interdictions, des fleurs sont déposées à l’emplacement des neuf poteaux par la population de Châteaubriant et de ses alentours ».
« Mais cette dispersion, précise le site Châteaubriant, Histoire et Résistance, loin de semer la terreur et l’oubli, a fait germer l’esprit de Résistance. A Châteaubriant, malgré l’interdiction, des petits groupes se rendent à la Sablière, le dimanche suivant, quelques fleurs à la main. Les poteaux de bois ont été emportés par les nazis, mais les fermiers en ont marqué l’emplacement. Pour que nul n’oublie ».
Aujourd’hui, le site de la Sablière, classé Monument historique, est un lieu de souvenir et d’histoire et le mémorial de Châteaubriant, du sculpteur Rohal, situé en son centre de la carrière, évoque ce tragique épisode de la Deuxième Guerre mondiale et exprime, dans tout son dépouillement, la solidarité qui liait entre eux ces hommes morts pour la France. À ses pieds, 185 alvéoles renferment des terres venues de tous les hauts lieux de la Résistance.
Chaque année, le week-end le plus proche du 22 octobre, une cérémonie organisée par l’Amicale de Châteaubriant- Voves-Rouillé-Aincourt, le dimanche après-midi, réunit des milliers de personnes en ce lieu, prouvant que plus de soixante-dix ans après, l’écho des fusillades du 22 octobre 1941 à Châteaubriant, mais aussi à Indre, à Nantes, au Mont-Valérien, à Souges et dans d’autres villes de France, reste gravé dans la mémoire collective. Le site de la Sablière de Châteaubriant, avec son musée, participe au travail de mémoire, si indispensable et l’ambition de l’Amicale est d’en faire pour les nouvelles générations un véritable outil pédagogique.
Maurice Gardette, Guy Môquet (dont des groupes de résistants FTP périgourdins portent le nom), Jean-Pierre Timbaud et les autres, « les barbares voulaient les tuer, soulignait Georges Politzer. Il les ont rendus immortels ».