Une plaque pour le Groupe Lucien Sampaix

Une plaque pour le Groupe Lucien Sampaix

Vendredi dernier, 4 septembre 2020, nous étions en Corrèze sur la commune de Saint-Priest-de-Gimel pour l’inauguration d’une plaque rendant hommage au Groupe de résistants « Lucien Sampaix », implantée à l’initiative des descendants de membres de ce Groupe.  Sous la responsabilité de Roger Ranoux, dit « Hercule », le détachement y avait organisé un campement et subi une attaque des GMR. 

Ce détachement se distingua par la suite, dès janvier 1944, en Dordogne et il m’est apparu intéressant d’en rendre compte ici.

Serge Ruaud est intervenu tout d’abord pour dire quelques mots, très émouvants, à la mémoire de son papa, « Popeye », décédé il y a quelques jours. 

Anne-Marie Cocula, amie de la famille, prononcera alors quelques mots de soutien et soulignera l’importance de cette initiative de plaque mémorielle, prises par les descendants de membres de ce détachement. A noter que huit de ces garçons étaient représentés ce 4 septembre par leurs familles.

Voici un extrait de l’intervention faite par Sylviane Ranoux, fille de Roger Ranoux, devant un public nombreux et attentif, composé des élus locaux, des habitants du lieu-dit et des familles:

« … Comme l’a écrit Hercule, le détachement Lucien Sampaix fut un parmi tant d’autres, mais son histoire mérite d’être contée, en raison de son originalité dans plusieurs domaines :

Ses origines, l’époque à laquelle il a été créé, la grande diversité des origines géographiques et sociale des éléments qui l’ont composé, le pourcentage important de ses membres déportés, tués, blessés au cours de la première année de leur engagement, avant le débarquement allié, le 6 juin 1944, les responsabilités assumées au sein des unités combattantes par quelques-uns de ceux qui ont appartenu à ce groupe.

Nous évoquons aujourd’hui, principalement son parcours en Corrèze.

Le détachement Lucien Sampaix est né au printemps 1943 au début du mois de juin. Il est issu du groupe commandé par Léon Lanot, qui cantonnait au lieu-dit le Teilhet, dans les gorges de la Doustre en moyenne Corrèze. C’est là qu’ils faisaient l’apprentissage, dans de dures conditions, de la lutte libératrice et de la guérilla. Ce camp s’est rapidement étoffé pour atteindre une centaine de garçon.

Devenu trop important, ce qui posait des problèmes pour la sécurité et le ravitaillement, les responsables décidèrent de le fractionner. Plusieurs détachements furent constitués.

L’un d’entre eux prit le nom de Lucien Sampaix et s’installa rapidement à proximité des cascades de Gimel, lieu où il devait séjourner près de trois mois.

Des sortes de grandes marches horizontales sont creusées dans le sol pentu, d’à peu près deux mètres sur trois. Elles constituaient le plancher des futures cabanes. Des rondins et des branches étaient destinés à former la charpente d’une toiture à double pente puis recouverte de plaques d’herbes et de mousses. Ces cabanes, construites dans la journée, étaient parfaitement efficaces contre les intempéries ».

L’activité au camp était faite de tâches relatives à la sécurité et à l’intendance : la garde, le ravitaillement, la confection des repas, L’action armée à l’encontre des occupants ou de ses auxiliaires du gouvernement de Vichy, tous en rêvaient. Mais la véritable guérilla n’était pas encore à l’ordre du jour. En revanche, des actions de sabotage étaient programmées sur des installations indispensables à l’ennemi, des usines travaillant pour l’ennemi. La mise hors d’état de nuire de quelques agents des nazis fut également à l’ordre du jour.

Mi-septembre 1943, le détachement change de cantonnement pour s’installer ici à Pouymas Bas.

Le camp composé de quelques 25 garçons y était installé depuis quelques semaines. Ils savaient que les recherches que menaient sans relâche les autorités de Vichy pour débusquer les maquisards représentaient une menace de plus en plus précise. La décision avait été prise de changer à nouveau de cantonnement. A cet effet des contacts sûrs au village de La Vialatte sur la commune de Saint Victour, avaient été pris.

Un petit groupe était parti en éclaireur sous la conduite de « Mickey » pour préparer le nouveau campement, le «gros» de la troupe devant rejoindre le lendemain. « Mimile » et Hercule étaient en train de vérifier les comptes de la caisse du détachement. Des maquisards se reposaient près des abris, un autre lavait son linge dans le ruisseau. « Sacco », montait la garde avec deux autres camarades.

Ceux au camp avaient été mis en éveil par des craquements venant du bois attenant. Mais avant qu’ils aient réagi, Sacco venait vers eux en courant et en criant à l’alerte. En quelques secondes, sans sommation, une formidable fusillade éclata venant de tous les côtés.

Les maquisards ont immédiatement bondi sur leurs armes, essayant de répliquer de leur mieux. Mais la confusion était totale du fait de la soudaineté de l’attaque. Observant la direction des tirs, le seul passage semblant encore possible pour s’échapper avant que la boucle ne se referme, était d’emprunter le marécage proche du ruisseau. Le gros de la troupe a pu s’engager par ce passage.

Après avoir réussi à récupérer la mitraillette Sten du groupe suspendue à une branche, qu’il ne voulait pas abandonner, le Frisé ne put que se poster derrière sa cabane située sur la partie haute du camp. Sacco déboulant du sentier a quant à lui plongé dans la seule tente du camp. La fusillade se poursuivait de part et d’autres en aveugle. Pour ceux qui n’avaient pas pu prendre la fuite, les choses se présentaient mal. Se sentant pratiquement encerclés, il n’y avait plus la moindre possibilité de fuite. Après avoir vidé toutes les balles des quatre chargeurs, Le Frisé se débarrassa de son arme dans un fourré. Puis ils attendirent la fin des hostilités. Bientôt, ils virent apparaitre les premiers assaillants. Il s’agissait de pas moins de 250 gendarmes et gardes mobiles de réserve qui étaient venus les attaquer. De toute évidence ils avaient été bien renseignés.

Quelques minutes plus tard, ceux qui avaient pu fuir étaient hors d’atteinte sous les couverts mais ils devaient bientôt constater que plusieurs des membres du groupe n’avaient pu s’échapper. Manquaient à l’appel :

  • Roger Hénot, dit Sacco fusillié marin, qui a été blessé au ventre pendant l’attaque
  • Jean Eyrolles, dit Le Frisé ouvrier de la Manufacture de Tulle
  • Bernard Ruaud, dit Popeye 18 ans originaire de Bordeaux
  • Jean Marcais, dit Lafleur originaire de Bourges
  • Le Coiffeur originaire de Lyon

Dans la soirée ils ont monté une embuscade sur la route de Tulle dans l’espoir de rendre la monnaie de leur pièce aux G.M.R. mais ceux-ci étaient déjà repartis en emmenant cinq des nôtres. Plus tard ils avaient envisagé une action pour les libérer de la prison de Tulle. Mais leurs camarades furent déplacés avant qu’ils n’aient pu passer à l’action.

Les prisonniers des détachement Sampaix, apprirent à la prison de Tulle, les circonstances de la dénonciation à l’origine de l’attaque du camp. Le 31 janvier 1944, ils furent transférés à Limoges puis le 13 mars à la Centrale d’Eysses. Le 30 mai 1944, la Centrale passe aux mains des SS. Ils sont ensuite transférés à Compiègne puis, le 18 juin, c’est le départ vers Dachau pour des mois de de faim, de servitude, de vexations, de punitions, d’épuisement, de souffrance, d’incertitudes. Ils eurent la chance de survivre à l’enfer des camps et furent libérés le 30 avril 1945.

Pour ceux qui ont réussi à se sauver, la leçon était dure mais elle leur montra la nécessité de changer plus fréquemment leurs lieux de cantonnement, seul moyen d’empêcher que ceux-ci ne soient l’objet d’attaques ennemies.

A l’automne 1943, la neige fut précoce en Corrèze et l’hiver, comme l’on sait, allait être rude. Elle tomba en abondance durant plusieurs jours. Les déplacements devinrent difficiles. Pour rejoindre le camp il fallait prendre d’infinies précautions afin de ne pas laisser de traces susceptibles d’indiquer des présences humaines. Bien que les problèmes de ravitaillement fussent résolus assez facilement grâce à la complicité et à la générosité de familles paysannes de condition souvent très modeste, la vie dans les bois était très rude.

Hercule et Mickey savaient pouvoir trouver en Dordogne de meilleures conditions pour abriter le détachement pendant les mauvais jours de l’hiver à quoi s’ajoutait la certitude d’un ravitaillement plus facile et un soutien de qualité pour mener les actions qu’ils envisageaient.

Ils ont négocié leur départ avec « Cabochard » leur chef qui ne voulait pas les laisser partir car, disait-il, il avait un bon détachement et il voulait le garder. C’est Eugène Connangle, alias «Martial », Commissaire aux effectifs pour la Corrèze qui a tranché et les a laissé partir avec pour mission de porter le combat au cœur du Périgord en terrain de connaissance, là où il y avait beaucoup à faire.

Sur les vingt volontaires que comptait le groupe, sept préférèrent rester là où ils étaient et ils eurent naturellement satisfaction. Ils ont renoué après la guerre des rapports très amicaux qui avaient pris naissance au cours des longs mois de clandestinité, de vie fraternelle et d’actions menées ensemble.

Quels sont ceux qui sont venus en Dordogne ?

  • Roger Ronceret dit Caïd, ouvrier maçon originaire de Paris 22 ans
  • Jean Bayle dit Margot, lycéen originaire de Paris 18 ans
  • François Géraudie dit Crinq originaire de Tulle, ancien de l’infanterie coloniale 22 ans
  • Fernand Stéphan dit l’Intrépide ou l’Ecureuil, ouvrier électricien originaire de Bourges 23 ans
  • Fernand Sallas, dit Barrat ou Dévoué, ouvrier électricien originaire de Corrèze 20 ans
  • Pierre Cramp dit Zorro étudiant originaire de Bordeaux
  • Pierre Michaud, dit Mimile puis Normand, titulaire du brevet supérieur Bordeaux, 22 ans
  • Dudule, radio, pris en Corrèze en tenue de la LVF 20 ans
  • Biberon, lycéen 18 ans
  • Bouboule, 20 ans
  • Guy Ranoux dit Mickey, ouvrier mécanicien, 22 ans
  • Ranoux Roger dit Hercule 22 ans
  • Roger Pomarel dit Cousin, ouvrier boulanger agent de liaison du groupe avec la Dordogne

Parmi ces volontaires, très peu avaient été contraints de prendre le maquis en raison de la réquisition au STO, trois d’entre eux seulement étaient membres des jeunesses communistes.

Hercule et Mimile sont partis en avant cachés sous la bâche du camion d’un entrepreneur de la gare de Corrèze, pour préparer l’arrivée du groupe, Mickey, devant conduire ensuite la petite troupe à pied jusqu’en Dordogne.

Par la bouche de Roger Pomarel qui, à plusieurs reprises avait assuré la liaison entre la Dordogne et la Corrèze au cours de l’été 1943, ils savaient à quelles portes frapper.

Durant les quelques jours d’attente avant l’arrivée du groupe Mickey, Hercule et Mimile ont pris les premiers contacts et c’est à «Maison Seule », située sur la Commune de Coly, que le groupe s’installa lorsque Mickey et sa petite troupe en armes les rejoignit. Ils avaient parcouru la distance séparant La Viallate, en moyenne Corrèze, à Coly, en trois étapes à travers chemins forestiers et petites routes. Une véritable prouesse si l’on se place dans les conditions du moment où il convenait surtout de ne pas attirer l’attention de quiconque.

Avant de quitter la Corrèze ils étaient convenus de quelques dispositions. D’abord nous prendrions une semaine de «repos », c’est à dire sans activités propres à se faire remarquer. Ensuite que durant cette période ils célébreraient à leur manière le retour en Périgord. C’est à dire de faire des repas dignes des traditions de celui-ci lors des fêtes de fin d’année car, il faut le dire, les mois qu’ils venaient de vivre n’avaient pas été fastueux en ce domaine.

Ils ont aussi gardé un merveilleux souvenir, celui du réveillon de Noël 1943. Dans une ambiance conviviale et fraternelle ils ont fait, cette nuit-là, la connaissance d’un bon nombre des légaux F.T.P.F. et A.S. du Terrassonnais, réunis à leurs côtés pour ce repas clandestin plein de signification.

Mais à partir de janvier 1944, le combat va se durcir et s’amplifier jusqu’à la Libération.

C’est rapidement à nouveau d’action qu’il va être question pour ceux de Lucien Sampaix. Ils avaient mis au menu de la nuit de la Saint Sylvestre rien de moins que le sabotage de l’usine Progil située en Terrassonnais. Les énormes déflagrations qui secouèrent la vallée furent entendues, a-t-on dit, jusqu’à Périgueux.

L’usine était un fournisseur de l’occupant et sa production a été momentanément interrompue. Mais « l’impact » de cette action dépassa de beaucoup les dégâts occasionnés par les explosions et l’incendie qui avait suivi, du fait de son retentissement psychologique.

Le ton était donné. Ce premier sabotage réussi du groupe Sampaix en Dordogne fut le premier d’une longue série qui suscita toujours plus de ralliement à la cause de l’action immédiate contre l’occupant et ses valets de Vichy.

Quel fut le sort des camarades de combat de ce que fut le groupe Lucien Sampaix constitué en Corrèze ?

  • Cinq furent donc prisonniers et déportés,
  • Deux furent tués en Dordogne : Roger Pomarel le 21 mai 1944 au retour d’une mission à la barrière de Villefranche du Périgord et Pierre Cramp le 26 juillet 1944 sur le barrage du Doiran,
  • Trois furent blessés : Jean Bayle qui était en compagnie de Roger Pomarel, Fernand Sallas sur une ambuscade et Biberon.

Plusieurs camarades de Sampaix eurent des responsabilités importantes dans la Résistance :

  • Roger Ronceret fut chef de groupe
  • François Géraudie fut chef de détachement (installé à Villac au lieu-dit Brugeaille
  • Fernand Stéphan fut responsable aux parachutages au sein de l’EM FTPF de Dordogne puis chef départemental en Creuse
  • Pierre Michaud, fut l’adjoint d’Hercule au 1er Bataillon FTPF, puis au sous-secteur A avant d’être le délégué des FTPF au sein de la 1ère mouture de l’EM FFI départementaldit Mimile puis Normand, titulaire du brevet supérieur Bordeaux, 22 ans
  • Ranoux Roger fut le chef du détachement Lucien Sampaix puis, chef du 1er Bataillon FTPF de Dordogne, puis du Sous-secteur A avant de devenir chef département des FTPF de Dordogne et co-chef départemental des FFI dans ce département.

Les informations qui ont permis d’établir cette intervention sont issues des témoignages de Pierre Michaud, Jean Eyrolles, Bernard Ruaud, Guy et Roger Ranoux. »… 

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