La princesse rouge

La princesse rouge

Un article d’Hervé Chassain publié le 16 janvier 2022 dans l’édition de la Dordogne de Sud-Ouest Dimanche:

Dordogne : sur les traces de la mystérieuse princesse rouge de la Résistance

Tamara Wolkonski, une aristocrate russe à la vie aventureuse, s’est illustrée dans le maquis communiste en Périgord noir et a fini sa vie à Plazac.

Une étrange inscription attire l’attention sur une petite tombe défraîchie du cimetière de Plazac, en Dordogne : « Tamara Wolkonski (1895-1967), princesse russe réfugiée, résistante ». C’est la dernière demeure d’une femme à la vie rocambolesque dont se souviennent encore quelques habitants du village.

Son existence trouble a été patiemment reconstituée par l’historien corrézien Hervé Dupuy et publiée dans la revue « Arkheia » et sur le blog de Jacky Tronel. « J’ai découvert son existence dans les archives, car elle avait été mêlée à des faits divers à Brive [NDLR : Corrèze] avec des Soviétiques. C’était étonnant de trouver une princesse russe blanche travailler avec des bolcheviques », raconte Hervé Dupuy. Il a restitué son parcours depuis la Russie jusqu’en Dordogne.

 

Rôle d’espionne

Tamara Chirinskaïa-Chikhmatova était née à Saint-Pétersbourg d’un père officier supérieur dans l’armée tsariste. Elle se serait même engagée très jeune dans un régiment de cosaques en se faisant passer pour un garçon. Elle serait ensuite devenue infirmière militaire. Elle a épousé un officier, le prince Wolkonski. Ce dernier fut tué en 1919 après la Révolution russe. Sa biographie est parfois floue. Elle serait arrivée en France en 1930 après avoir passé plusieurs années en Turquie. Avec son nouveau compagnon rencontré à Paris, Sylvain Asch, elle achète en 1936 la ferme de la Bournèche, à Rouffignac-Saint-Cernin, en Dordogne.

La guerre a fait entrer la princesse dans la Résistance. Alors que son mari est prisonnier de guerre en Allemagne, elle crée un hôpital de campagne dans sa ferme pour soigner les maquisards. Rapatrié sanitaire de captivité, son époux est arrêté par des soldats de la division Brehmer le 31 mars 1944, le jour de la destruction du village de Rouffignac. Il est fusillé deux jours plus tard à Condat-sur-Vézère. Tamara Wolkonski est aussi interpellée mais relâchée après l’exécution de son mari.

L’activité résistante de la princesse est attestée par Roger Ranoux, le chef des Francs tireurs et partisans (FTP), d’obédience communiste. Elle sert notamment d’interprète auprès de Géorgiens supplétifs de l’armée allemande, qui désertent en masse en avril 1944 et rejoignent la Résistance.

Dans l’état-major du bataillon soviétique à Brive en 1945, Tamara Wolkonski est assise à droite.
Dans l’état-major du bataillon soviétique à Brive en 1945, Tamara Wolkonski est assise à droite.
Collection privée

On retrouve fin 1944 Tamara à Brive au milieu des combattants soviétiques du Limousin et du Périgord, regroupés avant leur rapatriement en Russie exigé par Staline. Elle fréquente leur état-major installé dans l’Hôtel de la truffe noire, où un portrait de De Gaulle était encadré par ceux de Lénine et Staline. Ce sont essentiellement des Géorgiens souvent turbulents.

« Elle a une existence de pauvresse, obligée de faire de petits travaux de couture pour survivre »

L’historien Hervé Dupuy prépare un livre sur cet épisode peu connu de la Seconde Guerre mondiale et recherche de nouvelles archives (1). Il y a beaucoup de zones d’ombre sur la vie de la princesse et son possible rôle d’espionne clandestine pour les services secrets russes. Mais ces éléments sont difficiles à trouver et à prouver. Cette hypothèse peut étonner en raison de l’origine sociale de la princesse dont le premier mari avait été tué par les bolcheviques.

Internée en Corse

Après la Libération, en raison des tensions entre la France et la Russie et les craintes d’un coup de force communiste, elle est menacée d’internement en raison de ses origines et de ses fréquentations. Elle est défendue par les anciens résistants FTP comme Roger Ranoux qui parle d’elle comme l’une des plus belles figures de la Résistance en Dordogne. Mais en 1950 elle est envoyée en résidence surveillée en Corse où elle a passée plusieurs mois, avant de pouvoir revenir à Rouffignac.

Une période où elle se retrouve sans ressource et avec des problèmes de santé. Elle doit vendre sa propriété de la Bournèche en 1957 et se réfugie à Plazac où des amis lui prêtent une maison. « Elle a une existence de pauvresse, obligée de faire de petits travaux de couture pour survivre », témoigne l’écrivaine Thalie de Molènes qui l’a bien connue dans le village du Périgord noir. Elle évoque cette « grande et belle femme qui parlait beaucoup » et au sujet de laquelle se racontaient énormément d’histoires.

Tamara Wolkonski est en haut à droite et Roger Ranoux en bas à gauche.
Tamara Wolkonski est en haut à droite et Roger Ranoux en bas à gauche.
Archives Anacr

Tamara Wolkonski est morte à l’âge de 72 ans. Son action n’a pourtant pas été oubliée du côté russe : en 1985, au début de l’ère Gorbatchev, elle a reçu à titre posthume l’Ordre de la guerre de seconde classe. Une reconnaissance tardive de son action toujours soutenue par les communistes français. Sa tombe, un moment oubliée au cimetière, a été retrouvée en 2013 et la plaque posée par les anciens combattants de l’Anacr.

L’association des Amis du vieux Plazac réfléchit aujourd’hui à la rénover, confie Jean Mergnat qui défend sa mémoire.

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