Plaque Avenue Victor Hugo

A.N.A.C.R. Dordogne Mémorial de la Résistance

24 Mars 1944:

BASPEYRAS Gaston, 19 ans

GUIGNET Raoul, 36 ans

COLOMER Philippe, 27 ans

SARRETTE René, 19 ans

furent tués au cours d’un combat contre la Milice. Ils faisaient partie d’un groupe de 9 F.T.P.F. d’un maquis de Montignac-sur Vézère.

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CHEMINS DE LA MEMOIRE

La terreur qui, fin mars 1944, s’abat sur cette partie du Périgord, est sans doute liée à l’exécution le 21 mars, de Mme Denoix, épouse de Victor Denoix, syndic communal de La Bachellerie et chef cantonal de la Milice de Terrasson qui, le 18 décembre 1943, suite à la démission de Tomasi, accède au poste de chef départemental de la Milice. Rencontrant, ce même 21 mars, Georges Labarthe, président de la Délégation Spéciale nommé par Vichy, Denoix lui dit : « J’arrive de Vichy. J’ai vu Darnand, vous allez voir dans quelques jours ce qui va arriver ». Effectivement la promesse faite par Denoix est tenue et toute une série de crimes inexplicables vont être perpétrés par les forces hitlériennes

Quelques jours plus tard, le vendredi 24 mars, Denoix est en conférence secrète au domicile de son lieutenant Lavaux, électricien, avenue de Périgueux (aujourd’hui cours Victor Hugo), tout près du carrefour central des Quatre-Routes et une douzaine de francs-gardes fortement armés assurent leur sécurité.

Vers minuit, une camionnette dans laquelle ont pris place neuf gars d’un maquis FTPF de Montignac débouche de cette avenue. Les Miliciens lancent des grenades sur le véhicule et ouvrent un feu nourri. Au lieu de tenter de forcer le barrage, les maquisards sautent à terre et ripostent. Très vite éblouis par un faisceau de lumière que le chef local de la Milice dirige sur eux, ils ont du mal à ajuster leur tir, ce qui n’est pas le cas des francs-gardes.

Dès lors, la partie est inégale. La Milice compte un mort, les résistants quatre : Gaston Baspeyras, 19 ans, né à Saint-Front d’Alemps (Dordogne) ; Raoul Guignier, 36 ans, né à Ambe ville (Seine et Oise) ; Philippe Colomer, 27 ans, né à Coustouges (Pyrénées Orientales) ; René Sarrette, 20 ans, né à Saint Yrieix ( Haute Vienne) Les maquisards sont obligés de fuir, abandonnant sur place un blessé, Pierre Chalmont, 20 ans de Milhac d’ Auberoche (Dordogne)

Au bruit de la fusillade, la gendarmerie accourt et fait appel au Docteur Daux pour donner des soins au blessé que les miliciens entourent et veulent achever.

Le médecin, les rappelant aux lois de la guerre et de l’humanité, réussit à arracher le jeune à la mort, avant de le faire transporter clandestinement à l’hôpital de Brive.

« La nuit était tombée depuis un bon moment lorsque nous avons quitté notre campement avec la camionnette bâchée dont nous disposions. Descendus de Montignac par la petite route venant de Fanlac, nous avons franchi la Vézère sans encombre par le seul pont existant alors dans la ville et avons continué sur la route de Sarlat. En passant devant la gendarmerie nous avons bien eu une petite appréhension mais rien n’a bougé. Ayant monté la côte du Doiran, nous avons bifurqué vers Saint-Amand-de-Coly pour finalement aboutir dans les hauts de Terrasson où notre véhicule a été garé en vue de le reprendre lorsque nous repasserions un peu plus tard avec celui que nous allions réquisitionner.

Notre petite troupe a continué à pied et nous sommes arrivés sans problème par le Pont Vieux chez Bolimon. Ce dernier, mis rapidement au courant du but de notre « visite », n’a pas fait de difficultés particulières pour nous remettre son véhicule, en réalité une autre camionnette, non bâchée celle-là, et seulement munie de ridelles.

Nous attendions depuis un moment que la camionnette puisse démarrer lorsque nous avons entendu sans l’apercevoir un véhicule qui roulait tous feux éteints sur la Nationale toute proche, allant dans la direction de Brive. Le bruit ayant cessé, Stéphan a envoyé un gars vers la route en lui demandant de faire une inspection des lieux. II fut très vite de retour, déclarant qu’il n’avait rien remarqué de suspect et que la voie était libre. Or, ce n’était pas le cas, puisque le camion que nous avions entendu était un véhicule de la Milice qui s’était arrêté près de la maison Lavaud. Par mesure de prudence et pressentant peut-être inconsciemment une menace, j’ai suggéré, avant de nous embarquer, de rejoindre les hauteurs par Les Rouffiats sans passer par le carrefour des Quatre-Routes.

Cela impliquait de descendre un peu en direction du Lardin puis de prendre sur la gauche la rue en diagonale allant vers l’entrée du pont principal. Je n’ai malheureusement pas été écouté et c’est l’itinéraire le plus facile, par la grande route, qui a été pris, itinéraire qui s’est révélé être un piège mortel.

Il était alors aux environs de minuit et j’étais assis sur la plateforme arrière avec cinq autres camarades, lorsqu’un milicien en armes a fait irruption dans l’obscurité au centre du carrefour. Dans la faible lueur de nos phares il faisait impérativement signe à notre véhicule de stopper, ne sachant trop, semble-t-il, au premier abord, à qui il avait à faire, même si nous avions peut-être été attendus. Son hésitation a été de courte durée car il s’est mis aussitôt à crier : « Milice! le maquis I »… Ses acolytes embusqués le long des immeubles se sont alors mis immédiatement à tirer dans notre direction.

Touché à une cuisse, je sentais mon sang couler. Sans lâcher mon arme j’ai cependant sauté à terre comme le faisaient mes camarades et couru quelques mètres en essayant de me mettre à l’abri. Ne voyant personne à mes côtés, j’ai fait demi-tour vers le véhicule immobilisé et riposté avec ceux des nôtres qui faisaient feu en direction de nos agresseurs. Nous tirions un peu au hasard, aveuglés par le projecteur qui avait été allumé et qui était braqué sur nous. Des grenades étaient alors lancées de part et d’autre, les éclatements et les détonations retentissaient. C’est là que, au milieu du combat, j’ai très rapidement reçu de nouvelles et graves blessures par balles et éclats de projectiles, qui m’ont tout à fait cloué au sol et mis hors de combat.

Puis, les armes se sont tues, je me suis retrouvé entouré de miliciens excités, en compagnie de quatre de mes compagnons allongés comme moi sur le bitume de la route nationale, mais que la vie avait déjà quittés (ci-contre, l’un d’eux, René Sarrette).

Eclaboussé au visage et sur mes vêtements par le sang de l’un d’eux et baignant dans le mien, je n’en valais guère mieux. J’avais suffisamment de lucidité pour apprécier l’extrême gravité de la situation et décidé de « faire le mort », la seule attitude qui me paraissait susceptible de me donner une chance de m’en sortir.

La suite est même restée gravée à jamais dans mon esprit. L’un des miliciens, s’apercevant qu’il me restait un souffle de vie, s’interrogeait en effet, tout en me remuant du pied, pour savoir s’il « fallait me pendre ou me finir comme ça ». J’ai aussi entendu le médecin présent sur les lieux qui disait haut et fort: « Mais vous voyez bien qu’il est mort ! ». S’opposant à ce qu’on m’achève, il disait qu’il faudrait le tuer en même temps car il allait se coucher sur moi. J’ai appris par la suite qu’il s’agissait du Docteur Daux qui, depuis l’avenue de la gare où il habitait, était accouru au bruit de la fusillade.

Trois ou quatre gendarmes étaient également arrivés en compagnie de leur chef de brigade, l’adjudant Pain et l’intervention de ce dernier allait dans le même sens que celle du Docteur. Ils menacèrent même les miliciens de leurs armes pour les dissuader de m’exécuter.

Quant à moi, j’enregistrais tout cela comme dans un rêve, fermant les yeux en silence, sans faire le moindre mouvement susceptible de me trahir. Un milicien présent a fait mine de vérifier mon état en tentant de me soulever mais je suis retombé inerte, jouant toujours le rôle d’un homme pratiquement mort.

Je me suis retrouvé dans la salle de l’hôpital à côté de mes copains morts, où nous avions été transportés par les cantonniers de la ville qui nous avaient entassés dans leur charrette à bras. Cela a duré plusieurs heures. Mes blessures aux jambes, aux cuisses et sur le reste de mon corps me faisaient de plus en plus souffrir, mais je me sentais un peu plus rassuré. Les gendarmes étaient en effet toujours là et l’adjudant Pain se montra encore particulièrement attentif à mon sort. Il obtint, non sans réticences, de me prendre en charge, disant qu’il fallait me faire soigner en priorité avant d’entreprendre quoi que se soit à mon égard A lui et au Docteur Daux je garde une immense reconnaissance. Une soeur, soignante dans l’établissement, s’est approchée de moi. Comme elle coupait mon pantalon avec des ciseaux afin de dégager mes blessures, j’ai dans un réflexe hors de raison, murmuré en la voyant sacrifier ce précieux vêtement : « Que va dire ma mère ! ». II est alors apparu à ceux qui voyaient mon état qu’on ne pouvait pas me garder à l’hôpital de Terrasson. Les gendarmes ont alors fait venir un taxi, on m’a mis sur un brancard qui a été glissé dans la voiture, l’adjudant et l’un de ses hommes m’accompagnant à l’hôpital de Brive où j’ai été admis au pavillon Villemin. Très inquiet quant au sort qui m’était finalement réservé, je demandai à mes accompagnateurs si je serais ultérieurement remis aux Allemands. « Non, me répondit-on, nous ne te livrerons pas. Nous avons simplement trouvé un blessé sur le bord de la route et I avons conduit à l’hôpital » …

Et c’est ainsi qu’ils ont tenu parole, me faisant admettre comme un accidenté « ordinaire ». Je suis resté plusieurs mois dans mon lit sans pouvoir bouger, soigné par le Docteur Suren avec les moyens de l’époque, toujours sur le qui-vive et inquiet tant que les soldats allemands et la Gestapo occupaient la ville. J’ai reçu quelques visites de ma mère et de ma future épouse me faisant parvenir des lettres par l’intermédiaire d’un infirmier nommé Mergnat, qui avait accepté de les recevoir. Je ne répondais naturellement à aucune de ces missives. Le danger était en effet permanent comme le montre cette anecdote. Les Allemands venaient parfois à l’hôpital visiter des blessés ou malades, de leur bord bien entendu. Or, un jour, plusieurs soldats en uniforme vert de gris, se montrèrent à la porte de ma chambre, avec une bouteille de champagne à la main. Le docteur qui n’était pas loin se précipita: « Non, non, vous vous trompez, leur dit-il, la chambre que vous cherchez est un peu plus loin »… »

La Libération de la Corrèze et de la Dordogne approchait mais l’inquiétude était grande quant à l’attitude qu’aurait l’ennemi avant de quitter le pays. Conscient de la menace qui pesait sur moi le docteur Blayac, de Brive, vint me voir et me dit : « Demain il faut que tu sortes d’ici ». Et en effet, le lendemain, il me mit dans sa voiture et m’emmena à la gare où des cheminots me prirent en charge et me portèrent dans un wagon de voyageurs d’un train en partance pour Périgueux. A la gare de Milhac, ma famille, alertée, m’attendait et, quelques minutes plus tard, j’avais regagné mon domicile, heureux dans mon malheur, comme on peut l’imaginer. Cependant, le docteur de Saint-Pierre, appelé à mon chevet, me dit carrément que mon calvaire n’était pas terminé, qu’il fallait intervenir sur mes blessures pour que la gangrène ne s’installe pas à nouveau. « Coco » Roche, averti de la situation, vint alors me prendre et m’emmena à la « clinique » du maquis, simple infirmerie de fortune installée à Valojoux où, si l’on se sentait en sécurité, les soins que mon état nécessitait ne pouvaient être satisfaisants. Ce fut l’opinion catégorique du docteur Peyroux de Montignac, venu me visiter. « Il faut, dit-il, le conduire à Clairvivre ». Le médecin contacta Claude Bourdichon à ce sujet et celui-ci eut la surprise de me trouver là car il me croyait mort. Il m’emmena lui-même à Claivivre où je fus admis dans la chambre 503, chambre qui fut un peu plus tard désignée, en souvenir de mon calvaire, de « chambre du milicien ». Puis je fus entre les mains du professeur Fontaine qui répara mes blessures et l’éclatement de mes os de telle façon que j’ai pu à nouveau me resservir de mes jambes. Ce grand chirurgien qui était aussi un fervent patriote me réconforta très vite en me déclarant : « Je vais t’opérer et je te promets que si tu ne pourras plus courir, tu marcheras… ». Il ne fallut pas moins de vingt quatre interventions durant mon long séjour pour arriver à ce résultat, grâce auquel je puis témoigner de la sorte aujourd’hui. »

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